Impair et manque - Le Moniteur des Pharmacies n° 2590 du 09/07/2005 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2590 du 09/07/2005
 

Actualité

Enquête

Pour les spécialistes, il existe une parenté évidente entre les addictions liées à des produits psychoactifs et les addictions « comportementales », du type troubles alimentaires, achats compulsifs ou dépendance au jeu. Leur prise en charge, totalement insuffisante, se centre sur la personne plus que sur le produit. Tour d'horizon des principales dépendances.

Nous avons commencé à recevoir des joueurs pathologiques en consultation il y a cinq ou six ans, à la suite notamment de la parution du « Que sais-je ? » sur la dépendance au jeu, explique Marc Valleur, psychiatre et chef de service au centre médical Marmottan à Paris. Ce n'était pas notre cible parce que nous nous occupions essentiellement de toxicomanes, mais il y avait une vraie demande et très peu de réponses, à l'exception de l'association SOS Joueurs et de quelques services hospitaliers. Ils ont été très vite saturés. » Devant de telles demandes, Jean-Claude Matysiak a décidé d'ouvrir une consultation sur les multidépendances à Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne). « Le centre Littoral fonctionne avec un temps plein et demi pour environ 400 patients. Cette décision a été approuvée par la DDASS, mais pour autant nous n'avons pas reçu de budget supplémentaire. »

Au début, le centre a vu arriver des joueurs d'argent qui se reconnaissaient comme des drogués du jeu, mais aussi des personnes souffrant de troubles alimentaires et des accros du sexe. Plus récemment, des cyberdépendants, des accros aux jeux vidéo, des acheteurs compulsifs et des patients sujets au dopage sont également venus consulter. « Peu à peu, en comprenant ces pathologies, il est devenu évident qu'il y avait un fonctionnement commun entre ces différents patients, explique le chef de service de l'unité d'addictologie. On a employé le mot "addiction" pour définir cette conduite, avec ou sans drogues, qui devient le centre de la vie des individus. Tout se détruit à cause de la dépendance : la vie sociale, familiale, professionnelle. »

On passe d'une addiction à l'autre.

Le phénomène serait-il en croissance ? « Certaines dépendances existaient déjà mais elles sortent actuellement de la clandestinité, comme le jeu ou la boulimie, précise Jean-Luc Venisse, responsable de l'unité d'addictologie au CHU de Nantes. Les gens en parlent plus facilement. Il n'est donc pas certain qu'il y ait une augmentation de la prévalence. En revanche, pour les jeux de hasard et d'argent, l'augmentation du nombre de personnes dépendantes est liée au développement de l'offre. » Tout comme pour le cannabis. « Le cannabis est devenu un phénomène plus préoccupant aujourd'hui car l'offre de produits a évolué. Il est beaucoup plus concentré en tétrahydrocannabinol qu'il y a quelques années et cela entraîne une addiction accrue », soulignent les spécialistes.

En dehors des addictions liées aux produits, étudiées par l'Office français des drogues et des toxicomanies, les données manquent aujourd'hui pour bien cerner les autres dépendances. « On ne sait presque rien sur les joueurs, regrette Marc Valleur. Sur le plan quantitatif, on estime entre 300 000 et 500 000 le nombre de Français concernés mais leur profil précis reste à définir. On en sait encore moins sur les accros au jeu vidéo. »

La notion de dépendance ou de conduite addictive a pourtant beaucoup évolué. « Les autorités de santé et, historiquement, la Mission interministérielle de lutte contre les toxicomanies, en 1997-1998, ont fait beaucoup pour donner une nouvelle orientation aux politiques de prise en charge en les centrant plus sur les personnes que sur les produits, rappelle le Dr Constant, médecin généraliste et membre d'un réseau toxicomanie dans le Loiret. Le travail de la MILDT a ainsi été élargi aux drogues licites (alcool, tabac, médicaments), alors que l'on faisait jusqu'ici une distinction entre licite et illicite, et une nouvelle politique de l'alcool est arrivée, considéré comme une drogue comme un autre. » La MILDT a également défini une nouvelle classification par type de consommation et parle de trois types d'usage possibles : à risque, nocif et dépendance ; cette dernière ne concernant qu'un nombre très restreint de personnes.

Pour Marc Valleur, « il faut décoller l'image des dépendances de celle des produits ». « Quand nous faisons une formation de base, qui compte dix soirées, les produits ne représentent qu'une soirée. confirme le Dr Chevalier, président de l'association MGT62, qui regroupe 70 adhérents et a déjà formé quelque 700 généralistes et pharmaciens. La limite peut être technique mais il n'y a pas de limite dans la prise en charge. On a bien été obligé de constater que les gens passaient d'une addiction à une autre, de l'héroïne au jeu, et du jeu à l'alcool. Si un de mes patients arrêtait par exemple l'héroïne mais passait à une consommation totalement excessive d'alcool, je considérerais que c'est un échec. C'est tout l'intérêt de la prise en charge globale d'un individu. »

Des dépendance bien codifiées.

L'importance des recoupements entre les différentes addictions est effectivement un des constats mis en avant par les addictologues. Chez les joueurs pathologiques, on observe souvent des problèmes d'alcoolisme, de tabagisme, de toxicomanies, voire des troubles des conduites alimentaires. Et l'on assiste fréquemment au passage d'une addiction à une autre « si on ne traite pas le fond », précise le chef de service de Marmottan. Selon des chiffres qui datent de 1993, entre 9 % et 14 % des dépendants à l'alcool et aux drogues sont aussi des joueurs pathologiques. Des troubles alimentaires ont été constatés chez les femmes dépendantes au jeu. De nombreux troubles sont aussi associés à l'achat compulsif, comme l'anxiété, l'alcoolodépendance, la boulimie, le jeu pathologique, constate également l'Association des débiteurs anonymes.

Mais où s'arrête la limite ? Ne risque-t-on pas d'englober toutes sortes de conduites et de comportements humains sous la notion d'addiction ? « Aujourd'hui, la dépendance est très codifiée, avec le "Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders", un ensemble de critères diagnostiques établi par l'Association américaine de psychiatrie. Il existe une dizaine de critères très précis pour évaluer une conduite addictive. C'est plus compliqué pour les phases de transit mais c'est le cas également pour les produits. Il est difficile de dire qu'une personne est accro à un produit tant qu'elle n'en est pas complètement dépendante », détaille Marc Valleur. Le problème de santé publique de ces dépendances ne doit pas être sous-estimé. « Effectivement, certains dépendances n'ont pas un côté dramatique apparent, alors que la toxicomanie parle aux gens, insiste Marc Valleur. Aux Etats-Unis, 3 % à 5 % de la population est concernée par le jeu pathologique. Cela entraîne dans 80 % des cas des dépressions, des actes de délinquance ou des tentatives de suicide dans 20 %, du surendettement, des divorces. Les conséquences ne sont pas négligeables. »

Les nouveaux accros d'Internet et du jeu.

Avec plusieurs spécialistes, Marc Valleur a donc inauguré en décembre dernier un Observatoire du jeu, en espérant que l'Etat prenne le relais. Le but : faire de la prévention en informant le grand public sur les risques de dépendance liés au jeu, et notamment à certains jeux vidéo.

L'important serait aussi de promouvoir des études épidémiologiques pour bien cerner les populations concernées et les polydépendances engendrées. « A Marmottan, nous allons commencer à faire des études concernant le jeu chez les toxicomanes, explique Marc Valleur, mais nous n'avons pas d'étude sur la population générale pour pouvoir faire des comparaisons. »

Jean-Luc Venisse pense que l'approche publique des dépendances évoluera grâce à la multiplication des travaux de recherche et des publications. Ainsi Valérie Cordonnier a-t-elle enquêté durant un mois sur les accros du « cybersexe » dans le cadre d'une thèse sur la cyberdépendance, et ce avec l'appui de la Direction générale de la santé. Une première en France, à la différence des Etats-Unis où le phénomène est observé depuis le milieu des années 90. Soixante-dix questions abordaient l'usage personnel et professionnel de l'Internet, les relations entre pratiques sexuelles et surf ou entre vie sociale et l'Internet.

L'évolution passe aussi par la sensibilisation des professionnels de santé. « Il faut qu'ils pensent aussi aux dépendances non liées à des produits, explique Pierre Chevalier. Si le message passait bien auprès d'eux, ils découvriraient des patients qui ont des conduites addictives. A la limite, l'anorexie, on en connaît le danger physique. Mais ils peuvent se sentir désarmés et ne pas savoir prendre en charge un acheteur compulsif ou quelqu'un qui est accro au travail. Ces personnes passent chez le médecin et le pharmacien. Il faut qu'on puisse les aborder. S'il y a une demande de prise en charge, le pharmacien ou le médecin pourra alors l'orienter vers un centre de soins. Le but est que le professionnel ne soit pas seul dans son coin. »

Définition

- Une définition globale de l'addiction, fondée sur le « DSM-IV » (« Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders », établi par l'Association américaine de psychiatrie), a été proposée par le Pr Aviel Goodman en 1990. Parmi les critères retenus :

- Impossibilité de résister aux impulsions à réaliser ce type de comportement.

- Sensation croissante de tension précédant immédiatement le début du comportement.

- Plaisir ou soulagement pendant sa durée.

- Tentatives répétées pour réduire, contrôler ou abandonner le comportement.

- Perpétuation du comportement bien que le sujet sache qu'il cause ou aggrave un problème persistant ou récurrent d'ordre social, financier, psychologique ou physique.

- Agitation ou irritabilité en cas d'impossibilité de s'adonner au comportement...

Les généralistes s'organisent

Créé à l'instigation de l'association Médecine générale et toxicomanies en décembre 2004, le Pôle Ressource National (PRN) veut contribuer à une meilleure connaissance en médecine de ville des conduites addictives et de leur prise en charge. La confrontation aux addictions est très fréquente pour les médecins et source de multiples difficultés. Selon le PRN, 90 % des patients consultant les généralistes ont rencontré à un moment ou à un autre des substances à potentiel addictif.

« Nous avons établi des priorités et restreint notre approche aux produits psychoactifs, ce qui permet d'embrasser déjà un large champ », explique Sandrine Gualdoni, directrice de Médecine générale et toxicomanies. L'idée est de mieux faire connaître les pratiques établies par les réseaux addictions au niveau local, comme par exemple des outils d'évaluation, des guides de bonnes pratiques, et aussi de favoriser le développement des réseaux eux-mêmes. » Cette remontée d'informations permettra également d'avoir une connaissance plus juste des consommateurs et des tendances de consommations en médecine de ville, « ce qui n'existait jusqu'ici que dans le cadre des centres de soins ».

Des professionnels sont disponibles pour répondre à toutes les questions d'ordre général ou concernant la prise en charge des patients. Tél. : 0 820 222 326 (numéro Indigo), de 9 h à 20 h, du lundi au vendredi. Site Internet : http://www.prn-addictions.org.

A savoir

- Les spécialistes des conduites addictives estiment qu'il existe une parenté entre les addictions liées à des produits psychoactifs et les addictions comportementales, telles que le jeu pathologique, l'achat compulsif, les troubles alimentaires, l'addiction au sexe...

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