Ces bactéries qui nous veulent du bien - Le Moniteur des Pharmacies n° 2578 du 16/04/2005 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2578 du 16/04/2005
 

Actualité

Enquête

Les probiotiques font partie des ingrédients tendance dans le domaine des aliments et des compléments alimentaires. D'autant qu'ils affichent des allégations santé de plus en plus fortes. Mais leurs promesses marketing sont parfois éloignées de la réalité scientifiques.

Méconnus du grand public il y a à peine cinq ans, les probiotiques ont été projetés sur le devant de la scène médiatique par Danone grâce à son lait fermenté Actimel. Sont-ils bons pour la santé ? Une chose est sûre : le concept fait vendre et attire les fabricants de compléments alimentaires. Et l'histoire des probiotiques ne fait seulement que commencer ! Leur définition n'a d'ailleurs été officialisée qu'en 2002 par l'Organisation mondiale de la santé : « Un probiotique est un micro-organisme vivant (appelé aussi bactérie ou ferment) qui, ingéré en quantité suffisante, procure un bénéfice sur la santé de l'hôte. »

Les probiotiques actuels ont pour ancêtre le yaourt classique composé de Streptococcus thermophilus et de Lactobacillus bulgaricus. C'est le Prix Nobel russe Elie Metchnikoff qui, au début du siècle dernier, lui attribua des bienfaits, en l'occurrence sur la longévité de certains peuples nomades bulgares. A l'heure actuelle la plupart des souches bactériennes utilisées appartiennent au genre Lactobacillus ou Bifidobacterium. Sans oublier le recours à la levure Saccharomyces boulardii qui constitue le principe actif d'un médicament bien connu : Ultra-Levure.

Priorité à l'équilibre de la flore intestinale.

Pourquoi cet intérêt croissant pour ces micro-organismes ? « L'idée est d'en apporter au niveau du tube digestif pour maintenir la flore intestinale en symbiose avec l'organisme », a expliqué, lors des derniers entretiens de Bichat, le Pr Philippe Marteau, gastroentérologue à l'hôpital européen Georges-Pompidou. Rappelons que la flore exerce des fonctions essentielles, à savoir la protection contre des agents pathogènes mais aussi la stimulation du système immunitaire intestinal et général.

« On sait maintenant que les cellules immunitaires de l'organisme sont initiées au niveau de l'intestin qui gouverne ainsi l'immunité générale », informe Gérard Corthier, directeur de l'unité d'écologie et de physiologie du système digestif à l'Institut national de la recherche agronomique. On comprend donc pourquoi l'équilibre de la flore intestinale est un facteur de bonne santé. « En revanche, nous ne connaissons pas bien les répercussions d'un déséquilibre de la flore. Il est notamment associé aux troubles fonctionnels intestinaux. Mais nous ne pouvons pas encore distinguer la cause de la conséquence », indique le chercheur.

En d'autres termes, le retour à une flore « normale » pour soulager les symptômes de l'intestin irritable relève d'une hypothèse encore partiellement étayée. Il faudrait commencer par identifier les éléments perturbateurs. Certains sont bien connus, comme les antibiotiques, les lavages intestinaux (avant une coloscopie) ou les diarrhées. « Le stress peut également modifier l'équilibre de la flore », indique-t-on dans les monographies d'Actimel et de Lactibiane. « Il faut être prudent lorsque l'on évoque cette relation. A ma connaissance, seule l'augmentation de la perméabilité intestinale par le stress a été démontrée chez l'animal », précise Bruno Bonaz, gastroentérologue, responsable du groupe d'étude du stress et des interactions neurodigestives au CHU de Grenoble.

Gérard Corthier voudrait tordre le cou à une idée reçue bien ancrée dans l'esprit des consommateurs et de certains pharmaciens, celle du rééquilibrage nécessaire de la flore intestinale après la consommation d'antibiotiques : « Le retour à l'état antérieur se réalise naturellement en deux à trois mois sans induire le développement de "mauvaises" bactéries. » Ainsi la notion de « bonne » ou de « mauvaise flore » n'existe pas, chacune présentant son propre profil bactérien.

Des essais trop peu nombreux.

A la lumière de toutes ces informations, une question se pose : à quoi servent exactement les probiotiques ? Si l'on s'en tient aux preuves formelles requises par l'« evidence-based medicine », la réponse tient en quelques lignes : prévention des diarrhées dues aux antibiotiques et des rechutes d'infection à Clostridium difficile (S. boulardii), diminution du risque de gastroentérite chez les enfants en crèche (Actimel) et indication du yaourt en cas d'intolérance au lactose.

Il existe cependant d'autres applications prouvées (voir ci-dessous), dont les effets sont qualifiés de « modestes mais réels » par Gérard Corthier. Mais il faut avant tout retenir que l'effet est souche-dépendant, comme le précise le récent rapport de l'AFSSA « Effets des probiotiques et prébiotiques sur la flore et l'immunité de la flore adulte ». Ainsi, ce n'est pas parce qu'un Lactobacillus casei DN-114 001 est présent dans une préparation qu'il a les mêmes propriétés qu'un L. casei ATCC334. Toutes les souches n'ont pas la même capacité de survie dans l'intestin grêle. Pour le savoir, il faut faire des études. Et seules les grandes firmes agroalimentaires ou pharmaceutiques disposent de moyens suffisants pour les réaliser.

La bibliographie internationale recense 125 essais randomisés contrôlés. Trop peu selon l'AFSSA. Mais faut-il exiger des denrées alimentaires ou des compléments nutritionnels un niveau de preuve identique à celui d'un médicament ? Le débat est ouvert. « Nous demandons aux industriels d'être honnêtes vis-à-vis des consommateurs. Le rapport de l'AFSSA était avant tout destiné à ses experts pour leur donner des lignes directionnelles lors de l'étude des dossiers. Or on ne peut pas demander à l'AFSSA d'avoir les mêmes exigences que l'Afssaps », estime Gérard Corthier.

Philippe Marteau considère, lui, que la preuve d'un effet sur la santé pour consommer ce qui se trouve dans le réfrigérateur n'est pas utile. Surtout lorsque l'on sait que même les études effectuées sur des médicaments font l'objet d'extrapolations en pratique clinique. Ainsi, les essais d'Ultra-Levure ont été réalisés avec des doses journalières de 1 gramme, soit 20 gélules ! « J'en prescris aux personnes à risque de diarrhée à raison de 6 gélules par jour », rapporte Philippe Marteau. Autant dire que la dose efficace demeure un problème épineux.

Des pistes prometteuses.

Les probiotiques semblent voués à un bel avenir, notamment vis-à-vis des maladies inflammatoires de l'intestin et des allergies. Partant du principe qu'une perturbation de la flore intestinale se traduit par une mauvaise régulation du système immunitaire intestinal, par des réactions d'hypersensibilité alimentaire mais aussi par une inflammation des muqueuses devenant perméables aux allergènes, l'apport de probiotiques serait justifié. Une étude finlandaise parue dans The Lancet étaye cette hypothèse : l'administration de Lactobacillus rhamnosus GG durant la grossesse et pendant les six premiers mois du nourrisson diminue le risque d'eczéma de 50 % à 2 et 4 ans.

Le Dr Didier Chos, président de l'Institut européen de diététique et de micronutrition, prescrit des probiotiques dès qu'il décèle une « vulnérabilité intestinale » (ballonnements, troubles digestifs...), et ses conseils dépassent largement le champ des études cliniques. « La diminution de la perméabilité intestinale ouvre des perspectives d'action autres sur le tube digestif, considère-t-il. Toute perturbation de l'écosystème intestinal peut se répercuter à distance via la translocation des germes d'une muqueuse à l'autre. D'où les dépôts d'antigènes et d'anticorps responsables de toux résiduelle dans les bronchopathies, de rhinopharyngites à répétition, de fibromyalgie et d'une myriade de symptômes douloureux souvent étiquetés psychiatriques. »

Ces belles perspectives ont pourtant leurs limites. « Aujourd'hui, aucun probiotique sur le marché n'a encore démontré qu'il favorise l'équilibre de l'écosystème intestinal », regrette Gérard Corthier. Reste donc à franchir le pas des études cliniques pour pouvoir donner aux probiotiques les lettres de noblesse qu'ils méritent certainement.

L'évaluation des allégations se fera bientôt a priori

Interview de Jean-Christophe Boclé, coordinateur scientifique à l'unité d'évaluation sur la nutrition et les risques nutritionnels de l'AFSSA.

Quelles sont les principales conclusions du rapport de l'AFSSA*?

Il existe à ce jour peu d'effets reconnus. Il faut avant tout retenir qu'on ne peut pas assimiler un effet physiologique à un véritable effet santé démontré. Si l'administration d'un probiotique agit sur les marqueurs biologiques de l'immunité, on ne peut pas conclure qu'il prévient un rhume ! Pour l'étude d'un dossier sur un probiotique, nous ne retenons que les protocoles scientifiquement validés et les industriels doivent apporter des preuves à hdiv de leurs allégations.

N'y a-t-il pas un écart important entre vos exigences et la réalité du marché des compléments alimentaires ?

La législation actuelle en France est basée sur la non-tromperie du consommateur. Si un complément alimentaire à base de probiotiques promet « un ventre plat », le fabricant doit être en mesure de le prouver - à ses risques et périls. Mais la réglementation va prochainement évoluer. L'évaluation des allégations se fera a priori et non plus a posteriori. Il y aura une liste positive d'allégations par catégorie de produits. Pour les probiotiques, il faudra une concordance des souches.

* « Effets des probiotiques et prébiotiques sur la flore et l'immunité de l'homme adulte » (le rapport est téléchargeable sur le site de l'AFSSA : http://www.afssa.fr).

Les effets prouvés* des principaux probiotiques actuellement commercialisés (hors AMM)

* Actimel : renforcement des défenses naturelles de l'organisme (dont la diminution du risque de gastroentérite chez le nourrisson).

* Nidal Bifidus : stimulation de la flore bifide du nourrisson.

* Bio de Danone : activation du transit.

* Yaourt : indiqué en cas d'intolérance au lactose.

* Bion 3 : diminution de la sévérité des rhinopharyngites chez l'adulte.

* Par des études cliniques.

Lexique

- Probiotique : micro-organisme vivant capable d'exercer des effets bénéfiques sur la santé de l'hôte lorsqu'il est consommé en quantité suffisante.

- Prébiotique : ingrédient alimentaire non digestible qui stimule sélectivement la croissance et/ou l'activité d'un nombre limité de bactéries, pour améliorer la santé de l'hôte. Il s'agit la plupart du temps de sucres non digestibles : galacto- ou fructo-oligosaccharides, inuline, oligofructose.

- Symbiotique : produit contenant à la fois un probiotique et un prébiotique.

- Yaourt : lait fermenté avec Streptococcus thermophilus et Lactobacillus bulgaricus.

- Lait fermenté : yaourt contenant une troisième souche bactérienne (probiotique ou non).

100 000 milliards de bactéries dans la flore intestinale !

* Le système immunitaire entérique représente 70 à 85 % des cellules immunitaires de tout l'organisme.

* La muqueuse intestinale (7 m de long et 200 m2 soit la superficie de deux terrains de tennis !) évite l'adhésion des bactéries et protège des toxiques.

* La flore intestinale se compose de 100 000 milliards de bactéries réparties en 400 espèces. Cependant le tube digestif d'un nourrisson à la naissance est stérile ; il est colonisé par des bactéries d'origine maternelle (genre Bifidobacterium) et environnementale pour atteindre un équilibre vers l'âge de 2 ans.

Chaque flore intestinale est unique, et l'on peut parler d'une « empreinte intestinale ». Mais il existe des similitudes quant aux espèces dominantes chez l'adulte : 38 % de Clostridium coccoides, 32 % de Clostridium leptum et 24 % de Bacteroides. La flore bifide n'est présente qu'à hdiv de 1 %.

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