La croix et la bannière ! - Le Moniteur des Pharmacies n° 2574 du 19/03/2005 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2574 du 19/03/2005
 

Actualité

Enquête

Les Français vont chez Carrefour ou chez Leclerc, mais ils continuent à aller « à la pharmacie », sans en identifier l'éventuelle enseigne. Cinq ans après leur démarrage, les enseignes n'ont manifestement pas gagné les esprits. Principal obstacle : la rigueur des textes, empêchant une communication débridée. Décryptage.

Test. Postez-vous à la sortie d'une pharmacie arborant les couleurs d'une enseigne, peu importe laquelle sur le territoire. Attendez la sortie d'un client et posez-lui la question, comme nous l'avons fait à travers la France : « Avez-vous remarqué que cette pharmacie appartient à une enseigne ? » La réponse tombera, laconique et quasi instantanée : « Non ! » Certains client s'excusent presque en prétextant ne pas s'intéresser à ce genre de chose, d'autres éludent la question affirmant que ce n'est pas leur problème. Le couperet est parfois plus tranchant. Lorsqu'il est interrogé sur la question, Alain, 41 ans,professeur de mathématiques à Rennes, avoue : « Vous me posez une colle. Je ne sais pas ce que c'est qu'une enseigne pharmaceutique, et je n'avais pas remarqué que cette pharmacie appartenait à un groupement quelconque. Vous savez, s'il n'y a pas de grand sigle en évidence, on ne remarque pas. »

Poursuivez l'expérience. Tendez le micro aux groupements. Demandez-leur s'ils pensent que les efforts qu'ils ont fournis pour se rendre visibles sur le terrain, aussi bien sur la forme que sur le fond, sont identifiés par les clients. La réponse sera aussi immédiate que du côté des clients, mais plus prolixe et variée. « Trois semaines après le lancement de Viadys, les clients étaient capables d'en repérer le marquage », affirme Lucien Bennatan, président du groupement Pharma Référence.

Une enquête réalisée trois semaines après l'ouverture d'une pharmacie Viadys, par Cegma Topo, révèle en effet que 93,9 % des clients ont perçu des changements dans la pharmacie et que 33,2 % des clients ont remarqué que ce concept de pharmacie porte un nom et est commercialisé sous une enseigne appelée Viadys. Joseph-Philippe Benwaïche, président du groupement Plus Pharmacie, constate, lui, qu'il a fallu environ un an pour que les clients en arrivent aux mêmes types de conclusions sur l'enseigne Pharmavie. « Pendant un an, aucun consommateur n'a posé de question sur Alphega, confirme Philippe Bernard, président du réseau Alphega. Pourtant, ils avaient remarqué le changement. »

Le décalage est surprenant, d'autant que pour appuyer leurs enquêtes qualitatives dont ils avouent bien volontiers les limites, les groupements avancent des progressions de chiffre d'affaires significatives par rapport aux pharmacies non identifiées. Les chiffres s'imposent donc dans toute leur objectivité, avec une augmentation de 12 % pour le panier moyen et jusqu'à 30 % pour le chiffre d'affaires la première année. Difficile de ne pas se demander qui des outils de l'enseigne ou de sa notoriété favorise cette progression. Ne perdons pas de vue que, tous circuits confondus, les points de vente sous enseigne réalisent le double du chiffre d'affaires des points de vente hors enseigne.

L'autosatisfaction serait-elle de mise dans les états-majors ? Pas si sûr. Optimistes mais pas dupes, les groupements ne crient pas victoire. « Il est difficile de faire la différence entre l'efficacité des outils marketing de l'enseigne et le poids de la reconnaissance, affirme Lucien Bennatan. Il nous faudrait un placebo pour élucider la question. » « Il faut être clair et franc, renchérit Joseph-Philippe Benwaïche, un "non-client" [client de passage, NdlR] ne voit pas l'enseigne. »

La communication interne est à son maximum.

Malgré tous les efforts de signalétique déployés sur son chemin, de la rue au badge sur la blouse du personnel, le client reste aveugle au message que lui envoient les enseignes de pharmacie. Pourtant, tous les espoirs sont permis puisqu'il n'y est pas insensible. « Il est vraisemblable que le consommateur n'intellectualise pas l'enseigne comme les responsables, analyse Bertrand Esclasse, directeur marketing de l'agence Design Day. La démarche n'est pas forcément perçue de façon consciente, pourtant il y reconnaît les codes du commerce moderne. » « L'ambiance générale lui laisse penser qu'il va "en avoir plus" », traduit Cédric Miliotis, directeur associé de l'agence Market Value.

Le témoignage d'Angélique, 23 ans, mère au foyer à Lunéville, illustre bien la situation : « Je ne sais pas si la pharmacie a un agencement à son enseigne, mais je le trouve agréable. Le personnel est accueillant et j'apprécie le petit journal d'information sur les problèmes de santé quotidiens qui est déposé en accès libre sur le comptoir. On ne le trouve pas partout. » Sébastien, contrôleur qualité à Saint-Omer, confirme : « Il y a davantage de choix. C'est plus clair, bien agencé, il y a plus à acheter. » Catherine, secrétaire médicale de 45 ans à Ennetières-en-Weppes, insiste : « L'espace me plaît, c'est bien aéré et ça donne envie. »

Pas de doute, la communication sur le point de vente fonctionne. « Le concept d'agencement commence à être identifié comme un concept différent, souligne Joseph-Philippe Benwaïche. La pharmacie Pharmavie est perçue comme différente. Le code couleur est vu, le sentiment de bien-être est perçu ». Lucien Bennatan estime même que « la communication du point de vente est à son maximum », tout en s'empressant d'ajouter qu'il lui « semble difficile d'imaginer que l'on reste à ce stade ».

Mais comment aller plus loin ? Quels sont les freins ? L'attente des consommateurs n'est pas en cause. « Après tout, la pharmacie est un commerce comme un autre, commente Aurélie, 19 ans, étudiante à Carnon. Comme il existe plusieurs enseignes pour d'autres types de commerces, je ne vois pas pourquoi la pharmacie ne ferait pas pareil. » La spécificité du circuit officinal et l'existence d'une marque professionnelle forte et reconnue, la croix verte, sont sans doute des pistes d'explication.

La croix verte reste prioritaire.

Marie-Claude, secrétaire médicale de 46 ans à Lille, l'exprime clairement : « Je repère les pharmacies à leur croix verte. » La force de l'enseigne viendra-t-elle de la disparition de celle-ci ? Si cette perspective vous fait bondir, rassurez-vous, ce n'est pas pour demain. Bien que Georges Olivereau, directeur de création de l'agence Dragon Rouge, se risque à imaginer que « dans un cadre légal le permettant, la croix verte devrait disparaître tout comme la paire de lunettes a disparu de la façade des opticiens », la position la plus répandue prône la coexistence. « La croix verte est un code unique et nécessaire », affirme Gérard Barrau, président d'Interbrand Architral. « Il n'y a pas d'antagonisme entre la croix verte et l'enseigne, selon Bertrand Esclasse. La croix verte crée de la permanence. L'enseigne donne une compréhension de la politique de délivrance, de la politique commerciale, des engagements qui constituent les éléments différenciant les points de vente. Les services ne sont pas attribués à la croix, ils le sont à l'enseigne. A titre d'exemple, prenez Tati Or et Histoire d'Or. Le mot "or" vous indique tout de suite que vous êtes dans le domaine de la bijouterie, pourtant le simple fait d'y ajouter Tati ou Histoire, vous indique une approche commerciale très différente. »

La reconnaissance d'une enseigne par les clients est probablement proportionnelle au nombre d'officines affiliées. Selon la plupart des responsables, ce seuil serait situé entre 300 et 500 points de ventes identifiés. Encore faut-il trouver les volontaires. Si les candidats potentiels sont nombreux, la situation actuelle de la pharmacie est telle que le monopole la préserve, en partie, du jeu de la concurrence. L'adhésion à l'enseigne n'est pas vitale. Or, comme le fait remarquer Cédric Miliotis, « plus la nécessité de se différencier est forte, plus l'enseigne apparaît ».

Les freins techniques sont également de taille. Le basculement à l'enseigne d'un point de vente nécessite un investissement considérable de la part du titulaire et il est impossible à l'heure actuelle de disposer de la force de frappe de réseaux succursalistes comme les stations-service (un grand pétrolier s'est montré capable de modifier son identité sur l'ensemble de ses points de vente en une nuit). « L'évolution de l'enseigne en pharmacie est plus lente et originale, souligne Cédric Miliotis. Plus que par le service, elle est portée par une ambiance "club" regroupant des gens qui partagent une vision commune de la santé. »

Communication contrariée.

Le manque de visibilité, de moyens ou de densité ne suffit pas a expliquer l'enfermement de l'enseigne. La clé est ailleurs. L'enseigne est vue mais elle ne « parle » pas au client. Et pour cause, la loi l'interdit. « J'ignorais qu'il y avait des enseignes en pharmacie, déclare Madeleine, 55 ans secrétaire de direction à Vezin-le-Coquet. J'aimerais bien en savoir plus, mais il n'y a pas de publicité concernant les pharmacies. Le mieux serait de communiquer un peu plus avec le client sur ce sujet. Lui présenter les avantages qu'il peut retirer d'une enseigne... »

Même si ce mutisme imposé est désigné comme le frein majeur au développement des enseignes, celles-ci ne s'avouent pas vaincues. Julien Arnaud, responsable de l'enseigne Forum Santé, fait simplement remarquer qu'une enseigne comme Nature #amp; Découverte a su se rendre très visible sans pour autant communiquer. Autre signe positif, les résultats de l'enquête de notoriété menée par le groupement Giphar en octobre 2004. Cette enquête, la première du genre, a été réalisée par Ipsos et montre une connaissance de l'enseigne à 26 % en notoriété assistée. Un score qui la place en tête avec un différentiel de 10 points sur l'enseigne suivante. Ce pourcentage passe à 35 % dans les régions de forte implantation. L'effet des spots télévisuels est sans doute en partie responsable de ces résultats.

Bien décidés à se faire connaître, les groupements n'hésitent pas à utiliser des biais légaux. Association aux campagnes de santé publique, produits à la marque, sites Internet. Certains se risquent même à envisager la création d'une carte de fidélité, qui tient plus du service que du rabais, et qui n'attend plus qu'un feu vert réglementaire pour voir le jour.

Mais l'assouplissement des divs ne semble pas être pour demain, ce qui ne manque pas d'agacer. « On ne peut pas ne pas nous donner les mêmes armes que nos concurrents actuels et futurs, rétorque Lucien Bennatan. On ne peut pas être contre l'enseigne. La croix verte a montré ses limites. Elle n'a pas été capable de mettre en place un référentiel de qualité suffisant. Aujourd'hui, on persiste à avoir des distributeurs plus que des dispensateurs. On ne peut pas être pour le développement de la qualité, de la formation, du pharmacien chef d'entreprise responsable sans donner à ceux qui s'en occupent déjà les moyens de le faire savoir. »

Côté clients

- SAVIEZ-VOUS QU'IL EXISTAIT DES ENSEIGNES PHARMACEUTIQUES ?

Edouard, 29 ans, cadre commercial export, La Madeleine

« Oui, je pense. J'ai déjà remarqué des présentations,

des vitrines qui se ressemblent. C'est comme dans l'optique. Mais je préférerais que ça reste indépendant pour qu'ils conservent leur rôle de conseiller, de pharmacien et qu'ils ne se consacrent pas trop à la gestion, au fonds de roulement, à la gestion des stocks. »

Caroline, 25 ans, étudiante, Lille

« Oui. On s'attend à avoir plus de choses, davantage d'offres qu'ailleurs, mais aussi des prix... »

Ghislaine, 48 ans, rédactrice en assurances, Escobecques

« Un peu... Pour être plus forts, il faut se regrouper pour des questions de tarifs, d'emplois, de frais partagés... »

Andrée, 56 ans, au chômage, Lille

« Non, mais ce ne serait peut-être plus pareil. Il vaut mieux

une petite pharmacie qui vend des produits médicaux. »

Olivier, étudiant, Paris

« Est-ce que ça veut dire que, comme les enseignes de supermarché, bientôt on aura les mêmes pharmacies partout avec les mêmes rayons, les mêmes produits, les mêmes clones derrière le comptoir ? »

Marie-Claude, infirmière, 50 ans, Carnon

« Je n'avais jamais prêté attention à cette enseigne. Je suis contre les holdings financiers, mais je n'ai rien contre le concept d'enseigne de pharmacie s'il s'agit d'une association de pharmacies qui se regroupent. Par contre, si c'est une holding, c'est l'aspect financier qui est avant tout recherché. »

Fabrice, technicien, 27 ans, Béziers

« Des enseignes de pharmacie, pourquoi faire ? Je n'avais pas vu la mention en vitrine et au-dessus de la porte. Mais, si le "plus" c'est d'être moins cher, je suis d'accord ! Cela permettra peut-être à des petites pharmacies de subsister. »

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