A la vie, à la mort - Le Moniteur des Pharmacies n° 2572 du 05/03/2005 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2572 du 05/03/2005
 

Actualité

Enquête

Face à la pénurie médicale annoncée, quels sont les recours d'une officine que son seul prescripteur « déserte » ? Saisissants en milieu rural, les problèmes ne sont pas moins préoccupants en banlieues. Etat des lieux et perspectives.

Convenons-en : la République centrafricaine et Le Pont-de-Montvert (48), ce n'est pas la porte à côté. Et aucun jumelage ne laissait à penser que ce pays et le village des causses lozériens puissent un jour partager un concitoyen. Ce sera pourtant peut-être le cas sous peu, puisqu'un médecin centrafricain est susceptible de s'y installer. Et la pharmacienne du village, Catherine Paulet, l'appelle de tous ses voeux : « La situation est tendue avec le médecin sur le départ : il n'a conservé qu'une partie de son activité dans le village, les samedis, et il exerce le reste du temps dans une PMI. Il veut vendre son cabinet, mais trouver un acquéreur dans ces conditions va être difficile, voire impossible. »

Une fois choisi, le nouvel arrivant va donc être accueilli sous les meilleurs auspices : « La mairie met tout à sa disposition : locaux et appartement. Nous attendons tous sa réponse et nous sommes suspendus à un accord qui validerait l'équivalence de son diplôme », espère la pharmacienne. Surtout que le temps presse : « En décembre, j'ai limité la casse, mais le mois de janvier a été dur. Il faut que la situation se débloque avant la haute saison », s'inquiète-t-elle. Le village n'en est pas à sa première tentative pour remplacer le praticien sur le départ : « Une dizaine de candidats se sont manifestés. L'un d'entre eux était un jeune accompagné de sa famille, mais sa femme ne voulait pas s'installer dans un village, il s'est donc désisté. Un autre était un médecin plus âgé, mais le problème était le même : son épouse ne pouvait pas le suivre. »

Le cas n'est pas isolé dans cette région. « Je peux vous citer de tête une demi-douzaine d'exemples de pharmacies à l'agonie après le départ de leur médecin : Le Pont-de-Montvert, Puylaurens, Bagnols-les-Bains... Dans le coin, les communes sont immenses, avec parfois des fermes à plus de dix kilomètres du bourg », témoigne Raymond Magne, pharmacien à Chirac (48) et trésorier de l'Association de pharmacie rurale. Difficile dans ces conditions d'assurer une offre de soins de proximité.

25 % de CA en moins !

A quelques dizaines de kilomètres de là, le cas de Bagnols-les-Bains est similaire. Nadine Tessier, la pharmacienne du village, témoigne : « Notre médecin est parti du jour au lendemain. Après la publication de nombreuses annonces, un premier médecin s'est installé. Sans succès : il est parti au bout de six mois. La mairie s'est alors mobilisée et nous avons trouvé par annonce un médecin d'origine roumaine, naturalisé récemment et qui venait d'obtenir l'équivalence pour son diplôme. Il a pu s'installer en juillet. La mairie a mis à sa disposition des locaux pour exercer et un logement. Pendant les huit à neuf mois que j'ai passés sans médecin, mon chiffre d'affaires a diminué de 25 % ! Mais ce médecin roumain n'est pas jeune lui non plus, j'ai peur qu'on n'ait fait que reculer pour mieux sauter. » Dans les deux cas, seule la mobilisation des habitants et des pouvoirs publics a pu contrecarrer l'implacable logique de l'exode rural des médecins. « Les candidats au suicide ne sont pas nombreux, dramatise Yves Trouillet, président de l'Association de pharmacie rurale. Entre le Tarn et l'Aveyron, il y a certains endroits sans un médecin à 30 kilomètres à la ronde ! »

Toutes caricaturales qu'elles soient, ces situations reflètent un malaise général : bien que la France ne soit pas, à ce jour, en manque de médecins, leur répartition sur le territoire est de plus en plus inégale... et inégalitaire. Le problème a des racines anciennes, mais n'a éclos que récemment dans les médias. En particulier grâce à l'Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS) (voir l'interview du Pr Yvon Berland page 27). Lors de sa création en 2003, le ministre de la Santé de l'époque, Jean-François Mattei, avait déjà cerné le problème : 80 000 médecins - soit la moitié des effectifs - ont été formés entre 1975 et 1985. On parlait alors de pléthore. Et pendant les années 90, le numerus clausus a été asphyxié. Voilà la pénurie annoncée se transformer en une réalité : les médecins de ces « 10 glorieuses » vont partir à la retraite et se délester progressivement de leur charge de travail sur les épaules peu nombreuses de la génération montante.

Problème de remplacement dans 5 ans.

« Actuellement, les problèmes de densité médicale se résolvent plutôt par des transferts. Les autres médecins travaillent un peu plus pour compenser. Ce n'est pas préoccupant pour l'instant mais, dans cinq ans, les remplacements ne seront peut-être plus assurés : le mouvement naturel ne suffira pas », présage Marie-Claude Lagarrique-Courval, de l'URCAM de Basse-Normandie.

Autres temps, autres moeurs. L'exercice en milieu rural a tout du sacerdoce : horaires élastiques, isolement professionnel. Autant de contraintes auxquelles la jeune génération rechigne à se plier. La vision du médecin de campagne, praticien solitaire et dévoué, a donc vécu. Frais émoulus, les médecins privilégient la qualité de vie et l'exercice en groupe. Autant de paramètres qui les font fuir campagnes... et banlieues.

Le périurbain en friche.

Car si les pleins feux médiatiques ont dardé sur le problème de l'installation en milieu rural, la démographie médicale réserve de nombreux paradoxes locaux. « Jusqu'à récemment, le périurbain était un espace vierge de toutes données : une zone de contact gravitant autour de l'espace urbain », souligne Véronique Lucas-Gabrielli, chercheuse à l'Institut de recherche et de documentation en économie de santé (IRDES, ex-CREDES) et codiv de la récente étude sur « L'offre de soins dans les communes périurbaines ». Pourtant, « le périurbain couvre 41 % du territoire de France métropolitaine et concerne 21 % de la population », comme le rappellent les données de l'INSEE. « Pour les zones 3 et 7, que nous avons appelées "industriel/agricole" et "rural/agricole", le problème est particulier puisque l'offre de soins y est souvent plus faible que dans le rural pur », rappelle la chercheuse.

Sous la classification sibylline de l'IRDES se cachent des zones certes proches des villes, mais désertées par les professionnels de santé. Ce qui fait dire à Marc Brodin, chercheur en santé publique à l'université Paris-VII, que « la France est devenue urbaine mais est restée rurale dans son organisation. C'est une manie française que de toujours nommer les exceptions avant la règle. Alors que 80 % des gens habitent en ville, on pond des règlements adaptés aux 20 % restants : la loi du plus grand nombre n'est pas respectée ». Cadre légal inadapté, donc auquel il faut ajouter une bonne dose de pragmatisme de la part des médecins. L'Observatoire régional de santé d'Ile-de-France les rabroue sur ce point : « Il est normal que les spécialités les plus rares soient implantées là où se trouve la population francilienne [...]. En revanche, les disparités liées aux caractéristiques sociales de la population sont moins acceptables. Elles traduisent une propension des médecins libéraux à s'installer dans les quartiers les plus favorisés. »

A médecine libérale, logique libérale. Eric Vallmajo, pharmacien aux Tarterêts, à Corbeil-Essonnes, le constate tous les jours : « Quel médecin voudrait venir s'installer ici ? Pour 10 000 habitants, il y a mon officine, quatre médecins et deux kinésithérapeutes, regroupés en une maison médicale. Les médecins se sont installés ici il y a plus de trente ans et partiront à la retraite d'ici trois ans. Le problème est que si un ou deux s'en vont, c'est tout le groupe qui s'effondre. Et ma pharmacie avec. Alors on se serre les coudes... »

La liberté d'installation en cause.

Loin de ces conditions d'exercice extrêmes, Patrick Chavenon, président de l'Association de pharmacie urbaine et suburbaine, analyse la situation : « C'est exactement la même problématique qu'en milieu rural, sauf que nos cas sont moins impressionnants à cause du kilométrage. » Ce n'est pas le moindre des paradoxes de la démographie médicale : la désertification touche aussi la grande couronne parisienne. « Dans l'Essonne, beaucoup de médecins sont sur le départ. Ce qui a tendance à créer des pharmacies "moins-moins", cumulant deux handicaps : en semaine, les gens vont consommer du soin en ville sur leur lieu de travail, où la population de médecins est encore suffisante, et, le week-end, ils partent en province », explique Patrick Chavenon. Ces flux de populations lui font dire que, « parfois, dans certaines campagnes, une pharmacie pour 2 500 habitants a le même potentiel qu'une officine pour 3 500 habitants en banlieue ».

Alors, comment limiter ces disparités dans la répartition des médecins ? A mots couverts, le rapport Berland, paru en novembre 2004, semble esquisser une solution pour les médecins... en s'intéressant aux contraintes d'installation des officines : « Pour les pharmaciens, certainement du fait de l'existence d'une régulation à l'installation, les écarts de densité sont plus faibles », rappelle le rapport. Ils ne varient en effet que de plus ou moins 20 % par rapport à la moyenne nationale. A titre de comparaison, le XVIe arrondissement de Paris compte 428 généralistes pour 100 000 âmes, soit quatre fois la moyenne nationale de 113 pour 100 000 habitants ! Et les chiffres sont encore plus impressionnants pour les spécialistes.

Le gouvernement ne semble pas encore décidé à ouvrir une boîte de Pandore aux conséquences politiques imprévisibles : la restriction de la liberté d'installation des médecins. Quant à édicter une loi de répartition, comme celle qui régit l'installation des pharmaciens, cela relève de la science-fiction.

Les réseaux de SEL pour se protéger.

En attendant d'user du bâton, les autorités jouent de la carotte, sous forme d'incitations fiscales. Comme l'ont récemment décidé les sénateurs, les honoraires des médecins exerçant des permanences en milieu rural (astreinte, gardes le dimanche, visite de nuit) seront dorénavant exonérés d'impôts sur le revenu, à hdiv de soixante jours par an. Cela sera-t-il suffisant ? Rien n'est moins sûr.

Il est peut-être temps pour la profession de jouer la carte de la prescription pharmaceutique, qui serait le moyen de soulager des médecins localement trop peu nombreux et « surbookés », au moins pour le petit risque voire pour certains renouvellements d'ordonnance (voir page 23).

Quant à l'insécurité économique des officines situées dans des zones présentant un risque de désertification médicale, ne trouverait-elle pas une solution dans la constitution de miniréseaux officinaux ? C'est en tout cas l'un des exemples couramment pris par l'Ordre à propos de sa proposition de réseaux de cinq SEL (au maximum) qu'elle met en avant comme alternative à la loi MURCEF.

Dans sa philosophie, un point de vente mis en difficulté par le départ d'un médecin ou installé dans un canton qui en est dépourvu pourrait tenir grâce à l'assise économique et financière du miniréseau. Et continuer à garantir le maillage de proximité que les habitants de ces « déserts médicaux » sont aussi en droit d'attendre. Faute de pouvoir compter sur une réforme de l'installation des médecins ou, de façon moins prodigieuse, sur des mesures volontaristes des pouvoirs publics, la profession devra peut-être appliquer le vieil adage : « Aide-toi, le ciel t'aidera. »

A retenir

- Pénurie : La moitié des médecins en exercice actuellement ont été formés entre 1975 et 1985. La génération suivante, moins nombreuse, ne pourra assumer complètement leur charge de travail.

- Répartition : majoritairement présents en milieu urbain et dans le Sud de la France, les médecins « désertent » les campagnes et les banlieues.

- la Liberté d'installation des médecins n'est pas remise en cause. Les pouvoirs publics privilégient l'incitation (allégements fiscaux, subventions).

- Départ d'un prescripteur : les pharmacies peuvent se protéger en créant des réseaux de SEL.

- Nouvelles Responsabilités : la pénurie de médecins amènera-t-elle les pharmaciens, comme au Royaume-Uni, à devenir prescripteurs?

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