importations parallèles L'irréductibilité française vaincue par l'Europe - Le Moniteur des Pharmacies n° 2571 du 26/02/2005 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2571 du 26/02/2005
 

Actualité

Enquête

Découvrant qu'elle peut désormais légalement importer des médicaments venant du reste de l'Europe, la France affiche la plus grande prudence. Quand ce n'est pas de la méfiance. Car ce business, juteux chez certains de nos voisins, possède une haute capacité explosive.

La France a été ces dernières années une des principales sources d'importations parallèles de médicaments pour nos voisins, notamment l'Allemagne, le Pays-Bas et le Royaume-Uni. Va-t-elle cependant passer du statut d'exportateur à celui d'importateur ? Car plusieurs divs législatifs publiés en 2004 le permettent (le dernier, publié le 23 décembre 2004, prévoit leur prise en charge par la Sécurité sociale). La Cour des comptes prône également le développement des importations parallèles dans son dernier rapport sur la Sécurité sociale, mais le gouvernement semble pour l'instant peu enclin à suivre cette recommandation. En témoigne le peu d'empressement de la DGS à nous répondre sur la question.

Quoi qu'il en soit, un opérateur économique ayant le statut d'exploitant peut désormais procéder à des importations de médicaments en France à partir d'un pays de l'Espace économique européen (EEE) sans l'aval du titulaire de l'AMM, en se basant classiquement sur les différences de prix administrés entre les deux pays. Un arrêt européen de 1996 donne pour définition que « les deux spécialités pharmaceutiques, sans être en tous points identiques, ont à tout le moins été fabriquées suivant la même formule et en utilisant le même ingrédient actif, et elles ont en outre les mêmes effets thérapeutiques ».

La France y va à reculons.

En France, c'est l'Afssaps qui est habilitée à donner une autorisation d'importation parallèle, « en se focalisant sur la sécurité du patient », affirme France Rousselle, chargée des affaires réglementaires à la Direction de l'évaluation et des médicaments et produits biologiques : « Au moindre doute, nous serons amenés à refuser l'autorisation. » De fait, les autorisations d'importations seront accordées à partir d'un dossier et de contrôles stricts de la qualité du médicament, du reconditionnement et du circuit pharmaceutique. « Les excipients pourront être différents, sauf ceux à effet notoire, mais si les produits sont de formes galéniques différentes, par exemple, l'autorisation sera refusée », indique France Rousselle.

Alors même qu'elle entre tout juste en application, la législation française (de janvier 2004) est plus restrictive que la jurisprudence européenne qui vient encore d'évoluer en faveur des importateurs (1). Or tout frein aux importations parallèles, notamment de la part des Etats, est considéré par Bruxelles comme une entrave à la libre circulation des biens et des services et condamné par la Cour européenne de justice. Et pourtant : « Nous allons nous référer au div français, informe France Rousselle. Si on doit tenir compte de la nouvelle jurisprudence, il faudra le modifier. » Un raisonnement dans le droit fil des réticences de la France qui n'a légiféré pour autoriser les importations parallèles qu'à la demande expresse de l'Europe. « Et je dois dire que la Commission a examiné tous les arguments de protection de la santé publique avancés et nous a demandé nombre de modifications, continue France Rousselle. Nous avons établi ce div en fonction des pratiques des autres Etats membres et de la jurisprudence. Mais il est sorti avant la jurisprudence du dernier arrêt Kohlpharma (1). »

Un marché lucratif.

En dépit des réticences manifestes des autorités françaises, vous aurez sans doute à un moment donné des médicaments importés dans vos rayons, parvenus jusqu'à vous via un intermédiaire, grossiste, groupement, voire génériqueur... Plusieurs cas de figure existent en Europe (voir tableau ci-contre). Aux Pays-Bas, par exemple, le pharmacien perçoit un tiers de la différence entre le prix du médicament importé et le prix de référence. En Allemagne, au contraire, le pharmacien est pénalisé si les importations parallèles n'atteignent pas 7 % de son CA. « En France, on ne sait pas encore quelle marge pourrait ou devrait être laissée au pharmacien, note un exportateur parallèle français. De même que l'on n'a aucune idée du clawback (2) que nous demandera l'administration. » Chez Pharmajet, premier exportateur français indépendant (derrière les répartiteurs, donc), on estime que si l'on veut inciter directement le pharmacien à vendre ces produits, une dizaine de pourcentages d'intéressement seront nécessaires.

Pour que l'opération soit rentable pour l'importateur, le différentiel de prix entre les deux pays doit être de l'ordre de 12 à 15 %, mais certains portent l'estimation à 25 % (Pharmajet) voire 25 %-30 % (OCP). Le Leem note, lui, que « dès qu'il y a des différentiels de prix de 10 %-15 % sur un produit représentant un certain volume, un courant de commerce parallèle se crée ».

Les frais de l'importateur sont multiples : « clawback » à reverser à l'assurance maladie, le cas échéant intéressement du pharmacien ou du grossiste (au moins 5 %), frais de dossier pour la licence d'importation (10 000 Euro(s) en France !), coûts des éventuelles opérations de reconditionnement (0,40 Euro(s) par boîte selon un exportateur, 3 à 4 % pour un autre). Aujourd'hui, ce commerce représente 1 à 2 % du marché total des médicaments prescrits dans le monde, évaluait cet automne une responsable ministérielle. Mais 20 % du marché de détail des prescriptions au Royaume-Uni fin 2002, selon l'EAEPC (3) ! Plus de 50 % des ventes de certains blockbusters ! Reste que ce business est extrêmement mouvant, au gré des opportunités commerciales. « Il est à considérer au cas pour cas, pour un produit donné, entre deux pays donnés, à un instant t », note-t-on au Leem.

Dans ces conditions, le marché français est-il attrayant ? Gilles Coupeaud, de la société Pharmajet, se montre prudent : « Certains vont essayer, c'est sûr. Je reste personnellement un peu sceptique, mais les choses peuvent évoluer. »

« Cela fait longtemps qu'on attend les divs permettant d'importer en France. Cela peut être très intéressant pour nous », avoue, sans pour autant présumer de la future politique du groupe, Florence Briselance, responsable des exportations pour l'Europe de la Serex, premier exportateur français. Tous les acteurs du marché semblent s'interroger sur le comportement des autorités françaises dans l'attribution des autorisations d'importation parallèle. « Faudra-t-il que quelqu'un aille en justice pour faire mettre en conformité la législation française avec la jurisprudence européenne ?, s'interroge un exportateur français. Tout dépendra de la lecture que fera l'Afssaps du div originel. » Un autre exportateur note à cet égard que Kohlpharma, un leader du marché des importations parallèles (70 % du marché allemand), gagne 99 % de ses actions en justice, y compris contre les autorités. Autre obstacle spécifique à notre pays, « l'atomisation du nombre de clients potentiels, dans la mesure où les produits réimportés nécessitent une ouverture de compte, note un exportateur travaillant notamment pour le compte d'une CERP. D'où l'intérêt de travailler avec des grossistes ou des groupements ayant une activité de grossiste ».

Les groupements intéressés.

Les groupements ayant aujourd'hui une plate-forme logistique sont cependant plus ou moins favorables à ce principe... et plus ou moins prêts. « Les importations parallèles ? Pourquoi pas, quand on voit que des leaders comme Pierre Fabre ou GSK bloquent tout système de centrale d'achat pour les confrères..., commente Lucien Bennatan, président de Pharma Référence. Le groupement est en contact depuis déjà plusieurs mois avec des fournisseurs étrangers. Notre service des achats a déjà des comparatifs, même si nous n'allons pas bouger immédiatement. Reste que nous avons là une opportunité. A nous de la saisir... Je ne vois pas pourquoi je n'irais pas acheter mon Mopral en Grande-Bretagne s'il y est 80 % moins cher. »

« On a réfléchi dans les deux sens, importations et exportations, avoue Christian Grenier, directeur de Népenthès, qui avait demandé à la fois le statut de grossiste-répartiteur et d'exploitant (exportateur) lors de la création de la plate-forme du groupement. Dès qu'elle a ouvert, des dizaines de personnes sont venues nous proposer des affaires portant sur des millions d'euros. Simplement, notre activité de grossiste entrant sur le marché nous bloque presque toute activité d'importateur parallèle, car nous risquons de voir nos quotas fixés à zéro par les laboratoires [lire page 29]. Cela étant, si vous n'êtes plus livré du tout, l'importation peut devenir la solution... »

# 91 # La perte de protection du brevet conduit à des différences de prix importantes (base 100 = prix moyen européen) FRANCK L'HERMITTE

« Nous y avons déjà pensé et nous allons continuer à nous y intéresser de très près... Cela pourrait être une opportunité pour nous dans un avenir proche. J'ai vu comment les importations parallèles fonctionnent en Angleterre, c'est très efficace et totalement sécurisé », admet Luis Moralès, directeur général du groupement Plus Pharmacie.

En revanche, du côté du Giphar, Philippe Maquart déclare n'avoir « a priori trouvé aucun élément [lui] permettant de prouver que les importations parallèles ont un intérêt. Notre vocation, c'est de défendre la compétitivité des pharmaciens Giphar. Je ne crois pas que cette activité soit dans notre vocation de groupement ».

Quatre exemples, quatre positions différentes... A la Coopérative des pharmaciens (qui n'a jusqu'ici centré son activité que sur la parapharmacie), Serge Rader verrait bien des pharmaciens groupés se fournir au-delà de nos frontières : « Mais il ne faut pas se faire d'illusions, l'acteur qui écraserait le marché si les importations se développaient, ce serait les grossistes. Pour un groupement, je pense que cela restera des "coups". Mais parmi les cents molécules à forte rotation, pourquoi pas ? Resterait à bien se renseigner sur les fournisseurs... »

Le passage par une société qui a pignon sur rue et pratique cette activité est ici une garantie, notamment pour la traçabilité, mais est-ce indispensable ? « Agir sans intermédiaire ne semblerait pas insurmontable pour une structure comme la nôtre », se dit Luis Moralès. Autre idée : « Rien n'empêche un groupement de trouver un accord avec un génériqueur par exemple. » Ce dernier ayant d'ores et déjà le statut d'exploitant nécessaire pour importer.

En tout état de cause, il semble que, quel que soit le canal utilisé, « les importations parallèles seront impossibles à éviter totalement à terme, cette évolution est aussi probable pour notre pays », comme le confiait récemment un fonctionnaire du ministère de la Santé à plusieurs responsables des affaires réglementaires de laboratoires pharmaceutiques. La grande inconnue porte sur l'ampleur du phénomène.

(1) Dans un arrêt du 01.04.04 (affaire opposant la société Kohlpharma GmbH à l'Etat allemand), la Cour européenne de justice a estimé qu'un Etat ne peut refuser une AMM pour une importation parallèle au motif que les deux médicaments n'ont pas d'origine commune. En substance, le fait qu'ils soient fabriqués à partir du même principe actif devrait suffire pour autoriser l'importation (dès lors que les deux produits ont une AMM dans leur pays respectif).

(2) Clawback : terme consacré pour exprimer la part qui ira à l'Etat, via un système de remise par exemple.

(3) European Association of Euro-Pharmaceutical Companies : cette « voix » du commerce parallèle de médicaments en Europe recense et chapeaute environ 70 firmes réparties dans l'Espace économique européen.

Les règles en vigueur en France

Par définition une importation parallèle est l'introduction dans un Etat d'une spécialité étrangère identique à une autre y existant déjà. En France, la spécialité susceptible d'être importée doit provenir d'un Etat de l'Espace économique européen (EEE) et y bénéficier d'une AMM. La forme galénique doit être la même qu'en France (à la différence des génériques, il ne semble pas que toute forme orale soit acceptable). Les effets thérapeutiques annoncés doivent être identiques. Toutes les conditions de l'AMM française doivent être respectées : taille de l'unité, mode de délivrance, notice et étiquetage. Une différence dans l'excipient est tolérée. La présentation de l'emballage peut être différente de la française.

Le fabricant étranger doit avoir un lien avec le fabricant pour la France (même groupe par exemple). La réglementation des deux pays doit être respectée : libération des lots, autorisations administratives, etc.

Si toutes ces conditions sont respectées, l'importateur pourra obtenir de l'Afssaps une autorisation d'importation pharmaceutique (AIP) dont le numéro figurera sur le conditionnement à la place du numéro d'AMM. La loi d'août 2004 sur l'assurance maladie autorise leur inscription à la Sécurité sociale.

Le titulaire d'une AIP est tenu d'informer des effets indésirables les titulaires des AMM française et du pays d'origine. C'est donc au titulaire de l'AIP que les pharmaciens doivent transmettre les données de pharmacovigilance. Les éventuels retraits de lots seront aussi effectués par l'exploitant titulaire de l'AIP.

Lucie Bonthoux

à noter

Les exportateurs parallèles français

N° 1 : Alliance Santé (Serex)

N° 2 : CERP

N° 3 : OCP

N° 4 : Pharmajet

Ce podium respecte sensiblement la taille des parts de marché des répartiteurs. L'OCP étant une exception, un accord de non-concurrence, à l'occasion de sa reprise par Gehe, l'ayant tenu écarté du commerce parallèle pendant cinq ans avant la mise en place de la politique de quotas des laboratoires. Les indépendants représenteraient un tiers des exportations parallèles françaises.

Reconditionnements et changements de nom

L'importateur peut prendre l'initiative d'un reconditionnement s'il est rendu nécessaire, en particulier pour l'acceptation du patient (noms et/ou présentations différents dans les deux pays, inscriptions en caractères cyrilliques).

« Cette modification ne devra pas affecter le conditionnement primaire », précise France Rousselle (Afssaps). Les coordonnées du reconditionneur seront indiquées. « L'importateur a quasiment toutes les possibilités, et les moyens de contrôle par le fabricant d'origine sont très limités », déplore le Leem. La Commission de Bruxelles précise que, selon la jurisprudence européenne, « le simple retrait de plaquettes thermoformées, flacons, fioles, ampoules ou inhalateurs de leur emballage externe d'origine et leur remplacement dans un nouvel emballage externe ne peut affecter l'état d'origine du produit à l'intérieur de l'emballage ». Idem pour « les opérations consistant à apposer des étiquettes autocollantes sur les flacons, fioles, ampoules ou inhalateurs, à ajouter sur l'emballage de nouvelles informations ou instructions d'utilisation dans la langue de l'Etat membre d'importation ou à insérer un article supplémentaire, par exemple un diffuseur, d'une source autre que la propriétaire de la marque ». Toutes ces modifications sont donc licites. Le titulaire de l'AMM française pourra s'opposer au reconditionnement s'il est de nature à porter atteinte à la réputation de la marque et de son propriétaire. Sur les changements de nom, l'Afssaps dit n'avoir aucune exigence particulière. Elle peut s'y opposer comme l'imposer.

à retenir

Un atout pour le générique ?

Et si les génériqueurs se penchaient sur le sujet ? Ils pourraient en effet eux aussi trouver un intérêt aux importations parallèles, ne serait-ce que pour « amorcer la pompe » en occupant un marché auprès de leurs clients avant la tombée de brevet de certains produits. A moins qu'ils n'y voient au contraire des concurrents pour les génériques. Une équation compliquée.

L'Etat prend toujours sa part

Même lorsque ce n'est pas l'Etat qui impose des importations parallèles aux distributeurs, l'assurance maladie prend toujours soin d'y prélever sa dîme. Ce ne sera pas différent en France. Noël Renaudin, directeur du CEPS, a précisé ainsi au Moniteur que « tout le monde est conscient qu'il faudra trouver des arrangements, car si le commerce parallèle ne fait qu'enrichir les intermédiaires et les pharmaciens, cela ne suffira pas. Il faudra que la Sécurité sociale y trouve son compte. Si ce n'est pas dans le prix, ce sera dans des arrangements financiers convenables que nous pourrons expliquer à l'égard du droit européen. Mais l'assurance maladie aura un bonus d'une manière ou d'une autre (qui dépendra des écarts de prix), ça ne fait pas l'ombre d'un doute ». Néanmoins il n'envisage pas d'exiger une grosse décote de prix des importateurs parallèles qui se présenteraient. Du reste, il ne pourrait sans doute pas le faire ouvertement sans que cela soit considéré comme une entrave au commerce communautaire.

Le cas des pays de l'Est

Les pays d'Europe centrale et orientale ne s'étant dotés de législations instaurant une protection des brevets que dans les années 90-95, ils ne pourront pas exporter avant 2010-2015 de médicaments dont le niveau de protection n'est pas le même que celui de l'Europe occidentale. Il faudra en effet attendre l'épuisement de la protection des droits de propriété intellectuelle du fabricant dans ces pays. « En revanche, si le niveau de protection est le même [que pour les vieux produits, NdlR], le produit pourra circuler entre l'Europe de l'Est et nous », note le Leem. Si les acteurs du commerce parallèle envisagent pour l'instant la question des importations à partir de pays de l'ex-Europe des Quinze et de l'Espace économique européen, « les pays de l'Est nous inquiètent tout de même pour un certain nombre de produits », relève le Leem. Voici une comparaison du prix d'un antibiotique communément prescrit fin 2000 dans deux pays de l'Europe des Quinze et dans deux pays de l'Europe de l'Est récemment intégrés : en Pologne, il coûtait 7,60 Euro(s) et 7,90 Euro(s) en Hongrie ; au Royaume-Uni, il coûtait 21,10 Euro(s) et 49,30 Euro(s) en Allemagne...

Source : ministère de la Santé.

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