Le double exercice dans l'impasse - Le Moniteur des Pharmacies n° 2555 du 30/10/2004 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2555 du 30/10/2004
 

Actualité

Enquête

Alors que se multiplie le nombre de pharmacies à usage intérieur, celui des titulaires d'officine y exerçant diminue de façon drastique. Parce que ce sont deux exercices difficiles à concilier, mais aussi à cause des instances professionnelles, désireuses d'éliminer peu à peu tout risque potentiel de collusion... Côté adjoints, en revanche, la porte reste ouverte, bien que peu empruntée.

Les pharmaciens libéraux exerçant au sein d'une pharmacie à usage intérieur peuvent être rémunérés sous forme de vacation. » Ce passage du Code de la santé (art. L. 5126-5) avait semble-t-il laissé la possibilité pour les titulaires d'officine d'exercer aussi en pharmacie à usage intérieur (PUI) d'établissement de santé ou médicosocial privé. Mais le même article précise que « les pharmaciens exerçant au sein d'une pharmacie à usage intérieur doivent exercer personnellement leur profession ». Et un titulaire est aussi censé exercer « personnellement » sa profession dans son officine !

Dans ces conditions, à moins d'être doué d'ubiquité, les observateurs estiment que ce double exercice est devenu extrêmement difficile dans la pratique et, sur le principe, peu souhaitable. « Etant donné les obligations d'un gérant de PUI, il apparaît qu'un titulaire ne peut plus exercer personnellement à son officine s'il travaille en PUI », observe Eric Fouassier, professeur de droit pharmaceutique et économie de la santé (Paris-XI). L'exercice personnel étant exigé dans les deux cas, « il y a une certaine incompatibilité », confirme également François Locher, professeur en droit pharmaceutique (Lyon). « Les titulaires d'officine ne peuvent pas prendre de gérance. Je ne comprends même pas qu'on puisse en discuter, affirme de façon beaucoup plus tranchée Christine Barla, présidente du Syndicat national des pharmaciens gérants hospitaliers (SNPGH). Avant, on s'arrangeait avec la notion d'exercice personnel mais ce n'est plus possible. Si des habitudes ont été prises, il faut se mettre dans la tête que c'est interdit. »

Interdire le double exercice ?

S'il est clair qu'une PUI doit être fermée durant les temps d'absence d'un pharmacien, des titulaires estiment pourtant avoir une certaine liberté dans la mesure où ils ont un effectif suffisant en diplômés et où, selon la jurisprudence ordinale elle-même, la totalité de l'effectif n'a pas à être dans l'officine durant toute l'amplitude d'ouverture. « Dans ces conditions, je propose de remettre sur la table le principe et les dispositions du Code de la santé publique qui lient l'exploitation et la propriété de l'officine, provoque Christine Barla. Si un titulaire peut s'absenter 50 % du temps de l'officine pour gérer une PUI, c'est bien que son officine peut officiellement être gérée à mi-temps par un pharmacien non propriétaire ! ... »

Pourquoi n'avoir pas purement et simplement interdit ce double exercice dont « la compatibilité était même auparavant expressément prévue par les divs », note François Locher. Peut-être tout simplement parce qu'il existe encore un certain nombre de cas où l'établissement fonctionne avec le titulaire le plus proche. Notamment en ce qui concerne les hôpitaux locaux. Des cas appelés semble-t-il à se raréfier avant de disparaître. D'une part les instances professionnelles (notamment hospitalières) ne veulent plus de ces situations, d'autre part, s'il était difficile pour des établissements de recruter à une époque où le pharmacien y était payé au lance-pierres, ce n'est plus le cas aujourd'hui. La pénurie de personnel que connaît l'officine ne concerne par les établissements, où les candidatures affluent.

La visite du lundi matin.

Les chiffres montrent d'ailleurs une chute spectaculaire de ces « double officiants » (voir page 18). Dans les faits, cette diminution a correspondu à une augmentation des contraintes liées à l'exercice hospitalier nécessitant plus de présence pharmaceutique dans la PUI, soit un mi-temps obligatoire dans les établissements de santé (décret de décembre 2000, divs sur les bonnes pratiques des pharmacies hospitalières publiées en juillet 2001, divs sur la stérilisation loi de janvier 2002...).

Ces contraintes ont sonné le glas de pratiques consistant « à aller à la PUI entre midi et deux ou le lundi matin quand l'officine était fermée », commente François Locher. Côté positif des choses : « Le rôle d'acteur de santé publique des pharmaciens a pris une importance considérable en PUI », commente Christine Barla. En établissement de santé, l'heure serait plutôt à la dispensation individuelle informatisée, surtout au moment où la responsabilité des praticiens est de plus en plus mise en cause. Il faut se souvenir que lorsque les nouvelles contraintes liées à la stérilisation ont dû être appliquées, des centaines d'avis défavorables avaient été prononcées à l'encontre des PUI désireuses d'assurer la stérilisation des dispositifs médicaux. « Ce type d'activité optionnelle nécessite a priori un temps de présence supérieur au minimum légal », précise Jean-Noël Marzo, vice-président de la section D de l'Ordre. La réciproque est vraie à l'officine où l'exercice s'est durci et où la pénurie de personnel impose au titulaire de faire plus de présence qu'à une époque. « Ce qui importe à mes yeux, c'est moins l'exercice personnel que la présence de pharmaciens au comptoir », analyse d'ailleurs François Locher.

Risque de collusion.

Dans les faits, en raison de cette nécessité d'exercer désormais personnellement aussi dans une PUI, l'Ordre émettra presque systématiquement un avis défavorable auprès du préfet en cas de demande de gérance de la part d'un titulaire d'officine, indique Jean-Noël Marzo. D'une part, un exercice en pointillé n'est a priori plus toléré, d'autre part l'Ordre souhaite manifestement éviter toute distorsion de concurrence. Manière pudique d'évoquer le risque de collusion.

Il est vrai qu'un certain nombre de situations douteuses liées à la fourniture de maisons de retraite aura échaudé la profession ces dernières années. « A la sortie du décret PUI, on n'était pas favorable à limiter à deux demi-journées le temps minimal de présence pour le gérant de PUI d'établissements médicosociaux. En accord avec les pharmaciens hospitaliers, on ne voulait pas de mélange des genres, commente Pierre Crouchet, de l'Association de pharmacie rurale. Si les rôles sont mal définis, c'est ouvrir la porte à des dérives. »

« Ce "double exercice" est un sujet qui prête parfois à tiraillement », admet Eric Fouassier. « On a eu des situations d'opposition avec des préfets puisqu'on ne donne qu'un avis. Mais l'Ordre a rarement attaqué une décision préfectorale contraire », constate François Locher. Les DRASS incitent également peu les officinaux à gérer des PUI.

Une opportunité pour les adjoints.

« On a laissé la porte entrouverte aux titulaires mais, pratiquement, c'est devenu incompatible, admet Anne Montfajon, titulaire à Taverny (Val-d'Oise), qui a effectué ce double exercice pendant 26 ans (voir page 22). Beaucoup de titulaires qui le faisaient ont abandonné du jour où la présence obligatoire du gérant est passé à cinq demi-journées hebdomadaires. Deux demi-journées [en établissement médicosocial : maison de retraite, CSST, NdlR], ça devient plus compatible, mais ça reste lourd vu le prix d'un remplaçant. Pour un adjoint en revanche, la porte est grande ouverte pour effectuer deux mi-temps dont un comme gérant, même si ce sera sûrement difficile. Je pense que l'adjoint finit aussi par basculer d'un côté ou de l'autre, sauf s'il est gérant dans une petite structure comme un maison de retraite. » « Un adjoint à temps partiel peut efficacement exercer en PUI », confirme François Locher. Y compris comme gérant. « Le droit du travail interdirait même ici d'interdire », plaisante Christine Barla, qui explique qu'en clinique les postes à mi-temps sont le plus souvent occupés par des pharmaciens déjà salariés par ailleurs en officine ou en établissement.

Même des établissements de santé publics peuvent avoir recours à des pharmaciens adjoints d'officine, dans la mesure où « les gérances à temps partiel ne sont pas toutes occupées par des titulaires du diplôme de pharmacien hospitalier », poursuit Christine Barla, même si le concours est théoriquement demandé. « Si un adjoint n'a pas d'intérêt financier direct dans son officine et qu'il est bien sûr à temps partiel, il n'y a aucun problème pour lui à exercer comme gérant de PUI. Au contraire, commente Jean-Noël Marzo. Le risque, c'est que l'une des deux activités ne soit considérée que comme un salaire d'appoint. »

Vers un regroupement des PUI.

A cet égard, la PUI s'avère fort attractive au vu des salaires pratiqués (voir p. 19). « Le coefficient 700-800 est courant, confirme Claude Fischer, gérant de PUI et ex-officinal (voir p. 22). En tant que gérant, vous n'avez pas la même convention. Cela peut dépasser 2 000 euros pour un mi-temps. » Pourtant « les ponts entre officine et hôpital se sont raréfiés, même pour de simples vacations », constate François Locher. Reste la « survivance » de gérances effectuées par des titulaires dans de petits établissements médicosociaux ou dans les hôpitaux locaux, fortement demandeurs à une époque. « Les maisons de retraite de 30 lits sont en voie de disparition et les hôpitaux locaux, d'après ce qu'on entend, ce n'est pas l'avenir », commente Pierre Crouchet. De plus, un décret paru au Journal officiel du 28 mai 2004 permet désormais à un « groupement de coopération sanitaire » pouvant réunir établissements de santé ou médicosociaux publics ou privés d'avoir une PUI commune. De fait, la tendance ira au regroupement des PUI. Peut-être sera-ce la solution pour certains petits établissements qui se débrouillaient jusque-là avec le pharmacien du coin. On ne peut pas tout arrêter du jour au lendemain. Les derniers bouilleurs de cru sont là pour nous le rappeler...

A retenir

- doubles inscriptions

On comptait, au 1er janvier 2004, 176 titulaires également gérants d'établissement de soins ou médicosociaux (ils étaient 712 en 1995). Les adjoints étaient 296 (contre 227 en 1995).

- temps de présence obligatoire

Le temps de présence minimal légal est de cinq demi-journées par semaine en établissement de santé (hôpital, clinique...) et de deux demi-journées en établissement médicosocial (maison de retraite...).

- incompatibilité

Pour les pharmaciens gérants hospitaliers, le double exercice devrait être interdit pour un titulaire d'officine.

- salaires

L'équivalent d'un coefficient 700-800 est courant pour un gérant de PUI.

A noter

- Exercice personnel

Selon l'article R. 4235-13 du Code de la santé publique, l'exercice personnel auquel est tenu le pharmacien consiste à exécuter lui-même les actes professionnels ou à en surveiller attentivement l'exécution s'il ne les accomplit pas lui-même. Rappelons que la loi de santé publique vient de prévoir une amende de 3 750 euros « dans le cas où le pharmacien n'exerce pas personnellement ».

De moins en moins de titulaires gérants

Le nombre de titulaires d'officine exerçant également en établissement de soins ou médicosocial est en chute constante depuis dix ans. Les adjoints d'officine travaillant aussi en établissement progressent lentement.

Parallèlement, on constate dans le privé une augmentation du nombre de gérants à temps plein (113 en 1995, 124 en 2000, 193 en 2004) et une diminution pour les gérants à temps partiel (1 556 en 1995, 1 484 en 2000, 1 403 en 2004)... même s'ils restent très majoritaires.

Dans le public, les temps pleins (praticiens des hôpitaux titulaires) explosent (896 en 1995, 1 019 en 2000, 1 254 en 2004), les pharmaciens à temps partiel (statut existant depuis 1996) progressent à la même vitesse (297 en 2000, 524 en 2004) tandis que les gérants à temps partiel relevant de l'ancienne législation (contractuels) sont naturellement en chute libre (663 en 1995, 342 en 2000, 139 en 2004).

L'espèce est donc bien en voie de disparition.

A noter

- Interdit aux associés

S'il y a, semble-t-il, pour certains encore discussion quant à la possibilité pour un « titulaire seul » d'exercer une gérance, il n'y en a aucune quant aux titulaires en association. « Il leur est interdit de collaborer à la gérance d'une PUI », rappelle Eric Fouassier, professeur de droit pharmaceutique.

Les salaires

Indemnité pour activité sur plusieurs établissements : 394,85 Euro(s) par mois (+ frais de déplacement). Cette indemnité suit l'évolution des traitements de la fonction publique. Elle n'est pas soumise à cotisation au régime de retraite complémentaire.

Ce paiement par indemnités concerne les pharmaciens gérants relevant encore du statut de 1943. Seuls ces « anciens » gérants continuent d'être payés selon ce barème (au nombre de lits, tout en ayant théoriquement au minimum un mi-temps de présence obligatoire dans les établissements de soins depuis 2001). En effet, depuis la réforme du statut de pharmacien des hôpitaux à temps partiel, en 1996, plus aucun nouveau gérant venant de l'extérieur n'est rémunéré ainsi (il sera engagé comme contractuel).

Ce que le gérant doit superviser

Dans les faits, toute PUI doit pouvoir assurer une dispensation quotidienne des produits pharmaceutiques et dispositifs médicaux stériles dont le gérant est responsable (gestion, approvisionnement, préparation, contrôle, détention et dispensation). La PUI concourt aussi à la promotion et à l'évaluation du bon usage, à la pharmacovigilance et à la matériovigilance et à toute action de sécurisation du circuit.

A noter que certaines activités sont soumises à autorisation particulière : préparations hospitalières, préparations pour expérimentations, délivrance d'aliments diététiques spéciaux, stérilisation des dispositifs médicaux, préparation des radiopharmaceutiques.

Le pharmacien gérant sera le plus souvent responsable des achats et de la gestion des produits, dont la liste des médicaments onéreux (pris en charge par l'assurance maladie en sus du forfait de journée). De ce fait, il devra aussi veiller au respect des objectifs économiques fixés dans les conventions signées (à partir de 2005) entre l'établissement et l'assurance maladie (l'hôpital ou la clinique pourra être très sévèrement sanctionné financièrement en cas de non-respect des objectifs).

Enfin, les Bonnes pratiques de pharmacie hospitalière prévoient aussi que chaque membre de l'équipe de la PUI bénéficie d'une formation continue adaptée, enregistrée et évaluée périodiquement, notamment pour toute tâche nouvelle ou particulière. L'exercice personnel pour le gérant est expressément spécifié dans ces bonnes pratiques.

Soucieuse de ne pas voir certaines autorisations remises en question, l'administration des établissements devient plus regardante vis-à-vis de la gérance.

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