Arrière toute ? - Le Moniteur des Pharmacies n° 2550 du 25/09/2004 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2550 du 25/09/2004
 

Actualité

Enquête

Les membres de la future Haute Autorité de santé seront très bientôt chargés de réévaluer l'efficacité scientifique des médicaments. Et donc de décider du périmètre final des déremboursements. En attendant, certains perçoivent déjà un léger fléchissement dans l'ardeur du gouvernement à dérembourser.

Je ne serai pas le ministre des déremboursements. » C'est en ces termes qu'avait répondu, en mai dernier, Philippe Douste-Blazy, interrogé sur la suite qu'il comptait donner aux mesures de déremboursement initiées par Jean-François Mattei. Tout est aujourd'hui lié à la future Haute Autorité de santé, nouvel organisme dont la création a été officialisée par la loi sur la réforme de l'assurance maladie votée cet été.

Les décrets concernant sa mise en place font partie des priorités du gouvernement. Ils doivent être publiés entre le 26 septembre et le 8 octobre. Mais on en sait encore peu sur cette Haute Autorité, censée officier début 2005. Constituée de scientifiques et d'économistes, elle est présentée par Philippe Douste-Blazy comme « juridiquement indépendante du pouvoir politique et du ministre », et aura pour rôle « de juger la pertinence du remboursement d'actes ou de produits par une évaluation d'une stratégie thérapeutique dans sa globalité ». Son collège sera composé de huit membres désignés par le président de la République, le Sénat, l'Assemblée nationale et le Conseil économique et social. Un rôle qui ressemble fort à celui de la Commission de la transparence (Afssaps), dotée d'une mission d'évaluation, s'agissant notamment du service médical rendu (SMR) par les médicaments. En pratique, on se demande toujours comment ces organismes ne se marcheront pas sur les pieds... « La Haute Autorité s'appuiera sur les bases de l'expertise scientifique de la Commission de la transparence, mais également sur des évaluations de l«ensemble de la stratégie thérapeutique dans laquelle interviennent ces produits de santé », expliquait récemment le ministre.

Affaire sensible pour l'opinion publique.

Que va faire concrètement la Haute Autorité des quelque 600 médicaments jugés à SMR insuffisant ? Le prédécesseur de Philippe Douste-Blazy, Jean-François Mattei, avait prévu trois vagues de déremboursements entre l'été 2003 et l'été 2005. La première, qui concernait 82 produits, a eu lieu comme prévu : y figuraient des antispasmodiques avec tranquillisants (Librax), des corticoïdes locaux seuls (Hydracort 0,5 % crème dermique) ou en association (Diprosone néomycine, Nérisone C), des expectorants (Fluisédal sirop), des antitussifs en association (Hexapneumine sirop, Tussisédal sirop, Coquelusédal paracétamol, Néo-Codion sirop enfant et comprimé) ou encore des collyres (Boroclarine, Dulciphak, Catarstat).

La seconde vague, prévue normalement cet été, concernait des médicaments « pouvant faire l'objet d'une automédication » selon les critères énoncés par l'ancien ministre, comme les veinotoniques et les produits à base de magnésium. La troisième incluait des produits ayant « une utilité sociale sans alternative crédible et qui ne peuvent faire l'objet d'une automédication ».

Plusieurs questions se posent : la Haute Autorité reverra-t-elle tous les avis de la Commission exprimés sur ces produits, voire sur d'autres ? Leur déremboursement sera-t-il échelonné selon les critères établis par Jean-François Mattei ? Pour l'heure, « nous avons compris que la Haute Autorité va revoir l'ensemble des 600 médicaments à SMR insuffisant et que la Commission de la transparence poursuit l'étude sur des dossiers nouveaux, mais nous ne savons encore pas ce qui va se dérouler », assure Arnaud Gobet, président de l'Alfis (Association des laboratoires et firmes de santé)*.

« Nous n'avons pas d'informations particulières, précise à son tour Eric Maillard, président du conseil d'administration de l'AFIPA (Association française de l'industrie pharmaceutique pour une automédication responsable), qui regroupe les laboratoires de médication familiale. La Haute Autorité doit permettre la mise en place d'une stratégie plus globale qui intégrerait la réalité de l'usage de ces médicaments. Mais il y a beaucoup d'inconnues. Les désignations ne sont pas encore faites et c'est le président qui sera choisi qui devrait inspirer une politique au début. »

Côté pharmaciens, on attend de voir. « La Haute Autorité devra remplacer plusieurs instances actuelles. Il faudra voir quelles propositions elle fera, si elle ira aussi loin que l'a fait l'Académie de médecine avec les produits homéopathiques », souligne Bernard Capdeville, président de la FSPF. Mais pour de nombreux observateurs, il semble que le gouvernement ait choisi la prudence. Car les décisions de baisses de taux de remboursement ont été cinq fois retoquées par le Conseil d'Etat pour avis insuffisamment motivés, obligeant à revoir ces mesures (voir p. 32). Et, surtout, l'affaire est sensible auprès de l'opinion publique. La majorité des médicaments concernés relèvent de pathologies quotidiennes (toux, jambes lourdes, constipation, lombalgies, vertiges...), qui représentent « 40 % de l'activité de la médecine générale de ville et 10 % du marché pharmaceutique », selon Arnaud Gobet.

Les laboratoires confiants dans leur lobbying.

Quel a été l'impact de la première vague de déremboursements ? « Il semble qu'à part quelques produits qui ont tiré leur épingle du jeu, pour beaucoup, elle a contribué à une chute des ventes. Nous nous sommes donné un an, c'est-à-dire jusqu'à octobre 2004, pour chiffrer précisément l'effet du déremboursement », précise Eric Maillard. « S'il s'agissait de mesures de santé publique, on aurait dû à ce compte ôter l'AMM aux médicaments concernés », avance Bernard Capdeville.

Mais l'essentiel est encore à venir. Quid par exemple des veinotoniques ? En France, leur prise en charge est déjà passée de 65 % à 35 %. Une décision que Frédéric Thomas, du cabinet de conseil en stratégie Arthur D. Little, juge ambiguë : « Il faut être cohérent, soit ils sont inutiles et on les dérembourse complètement, soit ils sont utiles et dans ce cas on garde le taux initial. On voit aujourd'hui un courant favorable aux veinotoniques venant des Etats-Unis. La FDA américaine vient d'ailleurs de prendre une décision favorable cet été. »

« Les autorités sont soumises à une forte pression, observe de son côté François Deneux, également chez Arthur D. Little. Il faut que le médecin ait une réponse à donner aux patients. Certains produits ont une fonction un peu placebo. Ce ne sont pas en général des médicaments très chers mais des médicaments que les médecins aiment avoir dans leur portefeuille. » Selon une étude réalisée en mai par le Cresge de Lille, organisme de recherche spécialisé dans les études politiques et sociales, l'attitude thérapeutique du médecin vis-à-vis de l'insuffisance veineuse sera modifiée si le patient refuse de prendre en charge lui-même la dépense. Les veinotoniques ne seraient maintenus que dans 37 % des ordonnances. Leur abandon donnerait lieu à un report de prescription dans 40 % des cas, notamment vers les AINS et les antalgiques (52 % des reports), et une augmentation des recours aux spécialistes (35 % des reports).

A l'Alfis, on se montre plutôt optimiste. Selon Arnaud Gobet, la liste des produits déremboursables pourrait être moins importante que la précédente. « Nous avons beaucoup agi pour essayer de convaincre les autorités. Nous avons remis, au printemps dernier, une note au ministre de la Santé sur les risques qu'entraîneraient les déremboursements non seulement en termes économiques mais également en termes de santé publique. Nous avons chiffré leur impact sur les cinq classes les plus volumineuses (veinotoniques, myolytiques, produits antidiarrhéiques contenant une flore de substitution, oligoéléments et produits à base de magnésium). Nous avons calculé classe par classe les risques de substitution de ces médicaments par d'autres produits et nous sommes arrivés à un surcoût pour l'assurance maladie de l'ordre de 20 à 25 millions d'euros. »

La tentation des 500 millions d'euros d'économie.

Haute Autorité ou non, ce sera le gouvernement qui aura le dernier mot. Aux députés de l'opposition qui ont dénoncé, lors du vote de la loi sur la réforme de l'assurance maladie, « la légitimation des déremboursements » via l'avis scientifique de cette institution, le ministre de la Santé a rétorqué que la Haute Autorité allait seulement « éclairer le pouvoir politique » pour ses décisions, mais que l'Etat resterait « garant de la décision finale quant au périmètre remboursable ».

Or le gouvernement cherche par tous les moyens à réduire le déficit de la Sécurité sociale, prévu à 14 milliards d'euros cette année. L'économie tirée des déremboursements pourrait rapporter 500 millions d'euros. Les déclarations du ministre en septembre au mensuel Pharmaceutiques donnent quelques indices quant à la direction que prendra le gouvernement : « Si la Haute Autorité juge qu'un produit n'est plus utile dans une stratégie thérapeutique, je pense que les mutuelles agiront de concert avec l'assurance maladie pour rendre cohérentes ces décisions. C'est d'ailleurs la position qu'elles avaient prises lors de la première radiation de liste réalisée en septembre 2003. »

La loi sur la réforme de l'assurance maladie donne sur ce point un rôle officiel aux complémentaires en créant une Union nationale des caisses d'assurance maladie et une Union nationale des organismes d'assurance maladie complémentaires. La première sera chargée de fixer les taux de remboursement aux assurés dans des conditions et limites fixées par l'Etat. Les deux instances détermineront ensemble les actions communes menées en matière de gestion du risque. « C'est le plus irritant, considère Bernard Capdeville. L'assurance maladie va de plus en plus être contrainte de prendre en charge des traitements assez coûteux. Il faudra expliquer aux Français qu'il y aura des priorités et trouver des solutions. Il y a déjà, dans la loi, une mesure de crédit d'impôt pour faciliter la mise en place d'une couverture maladie complémentaire pour les gens qui sont au-dessous d'un certain niveau de revenus. Certains actes pourraient faire l'objet d'un débat avec les complémentaires. Quel usage en sera fait ? »

* L'ALFIS regroupe neuf laboratoires concernés par les pathologies quotidiennes qui « ne mettent pas en cause le pronostic vital ». Il s'agit de Almirall, Biocodex, Chiesi, Laboratoire des Granions, Innothéra, Labcatal, Mayoly-Spindler, Norgine Pharma et Zambon France.

L'homéopathie défendue par le ministre !

« L'homéopathie est une méthode imaginée il y a deux siècles à partir d'a priori conceptuels dénués de fondements scientifiques. [...] Il est surprenant que le ministère de la Santé leur accorde des autorisations de mise sur le marché et un remboursement par la Sécurité sociale pour les assurés. » Ces attaques récentes de l'Académie de médecine, se basant sur les décisions de l'Allemagne de procéder à des déremboursements, ont remis les médicaments homéopathiques au devant de la scène. En mars dernier, le gouvernement avait déjà décidé de baisser leur taux de remboursement de 65 à 35 %. Qu'en sera-t-il cette fois-ci ? Philippe Douste-Blazy s'est prononcé officiellement contre un déremboursement, « parce qu'il y a aujourd'hui 10 millions de Français qui prennent des médicaments homéopathiques prescrits par 30 000 médecins ». Et de préciser, quant à leur impact sur le budget de l'assurance maladie, « que c'est une toute petite goutte d'eau ». En outre, a précisé le ministre, c'est à la Haute Autorité de santé qu'il appartiendra de déterminer ce qui est du domaine du remboursable et ce qui ne l'est pas.

Réaction : Eric Maillard, président de l'AFIPA

Dérembourser aidera-t-il le médicament familial à se développer ? Eric Maillard, le nouveau président de l'AFIPA, est persuadé que non : « Aujourd'hui, si l'automédication a des difficultés à se développer, c'est que la demande a du mal à s'exprimer. Il faut que les acteurs de la santé (malades, pharmaciens, médecins, pouvoirs publics) soient plus impliqués. Nous demandons une meilleure visibilité dans les décisions pour permettre aux entreprises de réagir et de s'adapter. On ne s'improvise pas médicament d'automédication. Il faut mettre en place une communication, adapter le produit, organiser la distribution en pharmacie. » La loi sur la réforme de l'assurance maladie intègre un article sur la publicité. Il est noté qu'un médicament déremboursé pourra faire de la communication six mois avant son déremboursement. Reste à attendre les décrets d'application.

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