« Un pharmacien ne doit pas avoir peur de prononcer le mot "mort" » - Le Moniteur des Pharmacies n° 2549 du 18/09/2004 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2549 du 18/09/2004
 

Actualité

Enquête

Trois questions à Marie de Hennezel, psychologue, psychothérapeute et formatrice, et à Michel Hanus, psychiatre, psychanalyste, président de la Société de thanatologie et de l'association européenne Vivre son deuil

« Le Moniteur » : Comment peut-on appréhender au mieux la mort ?

Michel Hanus : En France, il meurt chaque année à peu près 545 000 personnes. On peut estimer à 3 millions les personnes qui vivent un deuil chaque année ! Pour 5 % d'entre elles, cela se passe mal : 150 000 vont devenir malades physiquement, psychiquement, ou auront des troubles du comportement.

Chacun appréhende la mort à sa manière. Il n'y a pas de règle générale, c'est lié à notre histoire et à celle de notre famille. Heureusement, avec l'évolution des soins palliatifs, on aborde le sujet de plus en plus souvent depuis une dizaine d'années. Des articles, des livres, des émissions télévisées traitent de la fin de vie. En fait, il faut parler de la mort avec simplicité. Quand quelqu'un qui est en deuil s'écroule en pleurs dans une officine, on peut peut-être demander s'il y a quelqu'un de proche qui est mort récemment. Un pharmacien ne doit pas avoir peur de prononcer le mot « mort ».

Marie de Hennezel : La meilleure aide qui soit, c'est d'écouter les gens dans ce qu'ils vivent et de leur témoigner une attention, une compassion. Je crois que les gens sont très seuls parce que personne ne veut entendre parler de ça. La mort est un sujet tabou, mais on se rend compte que dès que l'on commence à en parler, les langues se délient, les gens parlent de leur expérience personnelle. Simplement, la mort n'est plus familière comme avant car on meurt de moins en moins chez soi. Il est de plus en plus courant de laisser le corps à l'hôpital. Certaines familles n'ont pas vu mourir quelqu'un depuis deux générations !

Pensez-vous que des formations pour les professions de santé seraient nécessaires au cours des études ou après ?

Michel Hanus : Dans les études de médecine, on introduit quelques heures de formation sur la mort, le deuil, les soins palliatifs, le suicide. C'est important de reconnaître les gens qui ne vont pas bien. Il faut développer les formations sur la représentation de la mort, ce que les gens en pensent, la situation sociale de la mort. L'association Vivre son deuil est sollicitée pour faire des formations sur mesure pour des organismes aussi différents que les hôpitaux, les collèges, les lycées, les organismes religieux, etc. Ainsi nous travaillons depuis cinq ans avec le rectorat de Rouen et nous avons mis en place un protocole, envoyé à tous les chefs d'établissement, qui fonctionne aussitôt qu'un suicide ou un deuil a lieu. Les gens en deuil portent quelque chose dans leur coeur qui leur fait de la peine, donc ils ne sont pas aussi efficaces, attentifs. Il faut de la patience. Quelques médecins viennent vers nous, mais jamais les pharmaciens. Ils doivent penser qu'ils sont des techniciens et qu'ils n'ont pas à intervenir dans ce genre de situation.

Marie de Hennezel : Une formation est indispensable pour les professions de santé, mais je pense qu'il faut une culture de l'accompagnement, comme je l'ai demandé dans mon rapport*. J'avais proposé des « états généraux de la fin de vie » pour que l'on parle de ces questions, ainsi qu'un numéro Vert pour les familles. Même si des progrès ont été réalisés en soins palliatifs, nous sommes encore très en retard par rapport au Canada. Il y a encore beaucoup de résistances. Depuis cinquante ans, nous refoulons progressivement la mort et le sujet fait toujours peur. Il faudrait en parler un peu partout, même à l'école, et qu'un mouvement citoyen s'approprie cette question.

J'ai vécu une expérience inoubliable dans un service très humain, en France, et je me suis demandé pourquoi ce n'était pas ainsi partout. A partir de là j'ai commencé à mener mon enquête pour comprendre pourquoi, et j'ai écrit Le Souci de l'autre.

Face à la mort, à la maladie incurable ou au deuil, quel rôle peut jouer le pharmacien ?

Michel Hanus : Concrètement, il suffit d'écouter, mais le pharmacien est pris par le temps. Il suffit pourtant parfois d'une ou deux minutes... Il n'y a pas de médicament pour le deuil. Il faut juste être compréhensif, patient, et savoir deviner quand quelqu'un a de la peine. Le pharmacien peut aussi aider les gens en leur indiquant une ou deux associations qui pourraient les soutenir. Ma pharmacienne a sur son comptoir quelques piles de petites cartes d'associations que les clients peuvent prendre. Mais pour aider, le pharmacien doit vaincre d'abord sa peur de la mort, car il est comme tout le monde...

Marie de Hennezel : Les gens ont besoin d'écoute, de compassion et de solidarité. Ça ne s'apprend pas. Dans les formations, on apprend à parler de la mort, car on ne sait plus en parler. En définitive, on s'aperçoit que ce n'est pas une catastrophe d'aborder le sujet.

* Le 16 octobre 2003, à la demande de Jean-François Mattei, ministre de la Santé, Marie de Hennezel lui remettait un rapport « Fin de vie et accompagnement ».

Biblio

- « Essais sur l'histoire de la mort en Occident, du Moyen-âge à nos jours », de Philippe Ariès (Paris Seuil).

- « Apprivoiser la mort », de Marie-Frédérique Bacqué (Odile Jacob 2003).

- « Le Souci de l'autre », de Marie de Hennezel (Robert Laffont 2004).

- « L'Art de mourir », de Marie de Hennezel et Jean-Yves Leloup (Pocket).

- « Le Deuil », de Frédérique Bacqué et Michel Hanus (PUF, Que sais-je ?).

A noter également le site de Novartis destiné aux professionnels de santé ainsi qu'aux familles et à leurs proches : http://proximologie.com/.

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