Les pharmaciens dans la Grande Guerre - Le Moniteur des Pharmacies n° 2546 du 28/08/2004 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2546 du 28/08/2004
 

Actualité

Enquête

La Première Guerre mondiale, qui fit 1400 000 morts et 750 000 invalides dans l'armée française, engendra de grandes innovations dans le domaine des services médicaux militaires. Parmi eux, de nombreux pharmaciens. Souvenons-nous.

Il y a quatre-vingt-dix ans débutait la Première Guerre mondiale. S'il démarra en août avec un certain enthousiasme, le conflit se transforma très vite en cauchemar. Fin septembre, la violence des affrontements avait déjà causé des pertes considérables : au sein des seuls rangs français, quelque 400 000 soldats avaient été blessés, soit près d'un dixième des effectifs mobilisés.

A l'évidence, les états-majors avaient sous-estimé les progrès de l'artillerie, shrapnels, torpilles à ailettes et autres armes explosives notamment grenades. Il en résulta des blessures d'une gravité inédite. L'évacuation précoce des victimes, d'abord préconisée de manière systématique par le Service de santé de l'armée, se révéla particulièrement contre-productive. Elle fut la cause de graves complications infectieuses, au premier rang desquelles la redoutable et mortelle gangrène gazeuse, sans oublier bien sûr le tétanos.

Les chirurgiens amputèrent à la chaîne. S'ensuivit l'impressionnante cohorte des mutilés qui marqua si durablement la sociologie de l'après-guerre. Il fallut attendre une instruction du Service de santé du 4 novembre 1914 pour que la tendance commençât à s'inverser : « La conservation des membres sera poussée jusqu'à ses extrêmes limites, particulièrement pour les plaies du membre supérieur », pouvait-on y lire.

Le désastre sanitaire de l'été 1914.

Dès la mi-août 1914, les réserves en compresses, pansements et matériels divers étaient quasiment épuisées. Comme l'écrira en 1920 le médecin-major Henri Billet, le champ de bataille était devenu « un immense atelier d'emballage et d'expédition ». L'image est crue, mais elle parle d'elle-même. Comme le rappelle le Dr Christian Régnier dans son récent mémoire de DEA d'histoire contemporaine, le désastre sanitaire des deux premiers mois d'hostilités obligea les autorités militaires à repenser dans sa globalité le système d'assistance aux victimes.

Le triage des blessés se faisait désormais en trois temps : au poste de secours avancé, situé en moyenne à 1,5 km des premières lignes, à l'initiative du médecin auxiliaire (le plus souvent un interne en médecine) ; dans les hôpitaux d'évacuation (également appelés « hôpitaux origine d'étape », généralement situés à 25 km du front ; et, en dernier recours, dans les gares ferroviaires. L'objectif était de désengorger les structures de soins et de réduire les délais d'attente, sources de surinfections.

L'importance du pharmacien.

En novembre 1914, l'armée française se dota de sa première « automobile chirurgicale de campagne », également appelée « auto-chir ». Imaginée par le chirurgien Marcille, elle se composait de quatre camions, d'une remorque de stérilisation et de six voitures d'évacuation. Apparurent ensuite les fameuses « ambulances chirurgicales automobiles ». Le Service de santé en comptait vingt-huit à la fin de la guerre.

L'ambulance A1, dirigée en 1915 par le Pr Antonin Gosset, fonctionnait avec la bagatelle de neuf médecins (dont quatre chirurgiens et un radiologue), un pharmacien, dix étudiants en médecine et vingt-six infirmiers. De nombreux soldats étaient également affectés à cette unité au titre de brancardiers. Composée au total de onze véhicules, l'ambulance chirurgicale pouvait mobiliser simultanément jusqu'à quatre blocs opératoires. « Ça suit les armées avec moteurs, machines à vapeur, microscopes, laboratoires, tout un outillage d'hôpital moderne. C'est le premier grand atelier de réparation que l'homme blessé rencontre », écrivait en 1918 Georges Duhamel.

Placé sous l'autorité du médecin chef de service, le pharmacien jouait un rôle éminent. Il lui revenait de veiller au bon entretien des réserves de médicaments, de matériel et de pansements. Il contrôlait les denrées et les eaux de boisson, et dirigeait l'exécution des mesures d'hygiène comme la désinfection des locaux, la stérilisation du matériel chirurgical ou l'assainissement des latrines. Les analyses biologiques et de nombreux travaux d'expertise, réalisés en laboratoire, lui incombaient également.

La naissance du Dakin.

Dès la fin septembre 1914, la recherche d'un antiseptique idéal mobilisa de nombreuses équipes de chercheurs. A la même époque, l'Anglais Henry Drysdale Dakin, qui s'était illustré quelques années plus tôt en découvrant l'arginase, rejoignit son collègue Alexis Carrel, affecté depuis le début de la guerre à l'Hôpital temporaire n° 21 de Compiègne. Reclus dans son laboratoire, Dakin testa diverses sortes d'antiseptiques, avant de proposer, en mars 1915, l'irrigation continue des plaies au moyen d'un hypochlorite de sodium moins caustique que la liqueur de Labarraque. La « méthode Carrel-Dakin », intronisée par l'Académie des sciences le 2 août 1915, ne tarda pas à vaincre les réticences. Le mode de préparation, délicat, consistait à mettre en contact, dans de l'eau ordinaire, du carbonate de soude et du chlorure de chaux. Le précipité de carbonate de chaux éliminé, on ajoutait au filtrat de l'acide borique. Confiée aux établissements Poulenc, la fabrication du Dakin fut améliorée en octobre 1916 grâce aux remarques et suggestions du pharmacien Maurice Daufresne, qui assistait Dakin dans ses recherches.

Gaz de combat et pharmacie.

Les pharmaciens français jouèrent également un rôle capital dans l'identification et la préparation des gaz de combat, ainsi que dans la protection des populations visées, comme le rappelle Arnaud Lejaille dans sa récente thèse de doctorat. « La France n'a pas de chimistes, elle n'a que des pharmaciens », aurait ainsi dit sur le ton de la boutade le futur prix Nobel Fritz Haber, grand ordonnateur de l'offensive chimique allemande d'avril 1915. Il ne croyait pas si bien dire.

En juin 1915, soit quelques semaines après l'attaque surprise menée dans le secteur d'Ypres, la France se dota d'une Commission des gaz asphyxiants, bientôt rebaptisée Commission des études chimiques de guerre. Composé d'un tiers de pharmaciens, cet organisme centralisait les informations transmises depuis le front. En quatre ans, pas moins de dix-huit substances « puantes » furent ainsi identifiées, parmi lesquelles le brome, le phosgène, le bromoacétone, l'acide cyanhydrique, etc.

Le rôle du Pr Paul Lebeau, titulaire de la chaire de toxicologie de l'Ecole supérieure de pharmacie de Paris, fut particulièrement important. On lui doit la mise au point de nombreux masques de protection, et en particulier de l'« Appareil respiratoire spécial » lancé en février 1918. Lebeau élabora également la Vincennite, un mélange particulièrement toxique qui fut expérimenté pour la première fois avec succès en juillet 1916, à l'occasion de l'offensive de la Somme. Son collègue Charles Moureu identifia pour sa part l'ypérite ou « gaz moutarde » (sulfure d'éthyle dichloré), expérimentée pour la première fois par les Allemands dans la nuit du 12 au 13 juillet 1917 (lire encadré p. 20). Il en proposa un mode de fabrication ingénieux qui permit de retourner, en 1918, une tendance jusqu'alors très défavorable aux Alliés.

Réorganisation du Service de santé.

La leçon de la catastrophe sanitaire de l'été 1914 porta ses fruits. Si on ne comptait guère, au tout début du conflit mondial, que 10 490 médecins et 2 318 pharmaciens au sein de l'armée, leur nombre augmenta régulièrement par la suite. Le jour de l'armistice, 21 181 médecins étaient sous les drapeaux, pour un effectif total de 4,3 millions soldats. La plupart de ces praticiens ne furent d'ailleurs démobilisés qu'en mars 1919. Les services de radiologie furent tout particulièrement bien dotés, grâce au dévouement de Marie Curie. De 175 radiologues en août 1914, les effectifs militaires passèrent à 380 en novembre 1918.

Les conséquences de cette mobilisation massive des professionnels de santé ne se firent pas attendre : dès la fin 1915, la population civile manquait de médecins. Certaines régions - la Loire par exemple - étaient sinistrées, si bien qu'on dut faire appel à des praticiens étrangers. Ainsi, au fur et à mesure que la situation sanitaire de l'Armée s'améliorait, ceux de l'arrière subissaient de plein fouet les privations et les pénuries. A Paris comme en province, les pharmacies étaient vides : plus d'alcool à 90°, plus de glycérine et de corps gras, plus de tubes d'aspirine ! Directeur de l'Office des produits chimiques et pharmaceutiques (l'OCP !), le Pr Auguste Béhal s'insurgeait contre cet état de fait dans une lettre du 13 septembre 1915 adressée au chef de la section technique du génie : « La réquisition par l'administration de la Guerre de la presque totalité des produits chimiques fabriqués en France a mis l'industrie française dans une situation difficile. » Le 27 novembre 1915, il tentait de relancer la production d'aspirine en intervenant auprès du chef du Matériel chimique de la Guerre : « L'usine lyonnaise de Produits Chimiques [NDLR : Usines du Rhône] a monté la fabrication de l'aspirine ; elle a obtenu du Service des Poudres une tonne de phénol, et elle a besoin de 500 kg d'acide acétique que peut lui fournir M. Gillet et fils de Lyon. Il m'apparaît intéressant de soutenir les efforts de maisons françaises qui tendent à créer, en France, de nouvelles industries. »

La grippe espagnole, nouvel ennemi.

Dans un tel condiv de privations et de détresse sanitaire, la pandémie de grippe dite « espagnole » de 1918-1919 fit les ravages que l'on sait : probablement plus de 250 000 morts en France (dont 30 000 au sein de l'armée) ; 30 millions à l'échelle mondiale, soit le triple du total des pertes militaires enregistrées entre août 1914 et novembre 1918. L'aspirant Lucien Laby a témoigné dans son journal de la violence de cette infection : tombé malade le 30 mai 1918, il rechuta à plusieurs reprises durant les mois suivants. « Le 16 août au soir, je manque bien de claquer - on n'est pas bien sûr que je passerai la nuit. J'ai 40° et j'asphyxie. [...] Ce que je suis vexé de venir râler là, de maladie, après avoir tant de fois passé entre les balles ! J'ai la peau endolorie partout par des piqûres (huile camphrée ; collargolnucléinate de soude, etc.). [...] » Lui aura au moins la chance d'en réchapper... Comme quoi une catastrophe peut toujours en cacher une autre !

De l'aspirine... française !

En 1914, l'aspirine était un des rares médicaments à l'efficacité incontestée. Propriété de la société pharmaceutique allemande Bayer depuis le 1er février 1899, ce nom de marque tomba, au vu des circonstances, dans le domaine public. Dès l'automne 1914, les aspirines « d'origine française » se multiplièrent. Citons, pêle-mêle, l'Aspirine française du Dr Pillet, l'Aspirine Michel, l'Aspirine Brun, l'Aspirine Savé, l'Aspirine de France, l'Aspirine française Vassard, l'Aspirine parisienne du Dr Lucin, l'Aspirine Vicario, et bien d'autres encore. Les productions s'avéraient cependant artisanales. Le 14 janvier 1915, la Société chimique des Usines du Rhône passa à la vitesse industrielle en déposant la marque Aspirine Usines du Rhône. Ce fut le début d'une belle aventure commerciale qui se poursuivit bien au-delà de l'armistice.

A SAVOIR

La grippe espagnole était... américaine

Partie des camps d'entraînement du Middle West, l'épidémie de grippe espagnole débarqua en France en avril 1918 avec l'arrivée des sammies. Trois vagues se succédèrent alors : la première au printemps, la deuxième - la plus virulente - à l'automne et la dernière durant l'hiver 1918-1919.

Un pic fut enregistré vers la fin septembre 1918, avec une moyenne de 30 morts et 1 600 évacuations par jour sur le front de Champagne. La maladie, qui touchait principalement les jeunes gens âgés entre 20 et 35 ans, se propagea rapidement aux populations civiles par l'entremise des permissionnaires, avec une prédilection marquée pour les femmes enceintes. Les conditions sanitaires déplorables expliquent en partie les ravages qu'elle causa.

A lire

- Les Carnets de l'aspirant Laby, médecin dans les tranchées. 28 juillet 1914-14 juillet 1919 (Paris, Bayard, 2001). Un témoignage capital et passionnant.

- Arnaud Lejaille, La contribution des pharmaciens dans la protection individuelle contre les gaz de combats durant la Première guerre mondiale. Extension à la période 1920-1940 (Th. Doct. Pharm., université Nancy-I, 1999).

- Lion Murard, Patrick Zylberman, L'hygiène dans la République. La santé publique en France, ou l'utopie contrariée. 1870-1918 (Paris, Fayard, 1996).

- Christian Régnier, Plaga Magna, Blessures, médecins, blessés sur le front occidental au cours de la Première Guerre mondiale. (DEA d'histoire contemporaine, Université de Picardie, 2002).

Le pansement du soldat

Chaque soldat disposait en principe d'un pansement individuel qu'il gardait précieusement dans la poche intérieure gauche de sa veste ou de sa capote. 35 millions de paquets furent ainsi distribués côté français durant les quatre années de guerre. Le modèle 1914 se composait de deux tampons de coton et d'un simple pansement aseptique. Les antiseptiques de première intention (bichlorure de mercure, acide phénique), utilisés avant-guerre, avaient été bannis.

Des modèles non réglementaires coexistaient. Citons la « Pharmacie du Soldat », commercialisée par Robert #amp; Carrière au début de l'année 1915. Cette petite boîte en aluminium contenait un pansement autoclavé, une ampoule-pinceau d'iode et divers comprimés contre la diarrhée, la constipation, la fièvre et les douleurs. Le tout pour 4 francs 50 franco.

Nuage mortel

Le 22 avril 1915, vers 17 heures, un épais nuage toxique fondit sur les troupes françaises stationnées dans le secteur d'Ypres. L'attaque causa 5 000 morts et marqua le début de la « guerre des gaz ». Le soir même, le pharmacien-caporal Léon Launoy, professeur de sciences naturelles à l'Ecole supérieure de pharmacie de Paris et chef du laboratoire de toxicologie de la Xe armée, analysa un bâillon retrouvé sur un prisonnier allemand. La petite enveloppe de tulle, remplie de déchets de coton, était imprégnée d'une solution neutralisante d'hyposulfite de soude et d'hydrate alcalin fixe. Le lendemain, Launoy envoyait son rapport aux autorités. Selon lui, le gaz toxique utilisé par les Allemands devait être le chlore. Les premiers masques rudimentaires purent être aussitôt fabriqués en série.

La Mission Rockefeller

La Première Guerre mondiale permit de prendre conscience des ravages de la tuberculose en France. Les réformés se comptaient par dizaines de milliers et les sanatoriums militaires ne désemplissaient pas. L'arrivée en août 1917 de la Commission américaine de défense contre la tuberculose (plus connue sous le nom de « Mission Rockefeller ») dopa la lutte conte ce fléau. De nombreuses visiteuses d'hygiène furent recrutées et formées. Des structures de soins adaptées virent le jour. Des « roulottes d'hygiène » se mirent également à sillonner les routes de France : munis d'appareils cinématographiques et chargés de brochures diverses, ces camions automobiles portèrent la bonne parole hygiéniste auprès de populations jusqu'alors peu touchées par la propagande sanitaire. Le concept de santé publique était né !

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