Expatriation : Bons baisers d'Europe - Le Moniteur des Pharmacies n° 2544 du 10/07/2004 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2544 du 10/07/2004
 

Actualité

Enquête

Ils ont choisi d'exercer leur profession ailleurs qu'en France. Tous sont satisfaits. Comment ont-ils réussi leur intégration ? Le métier de pharmacien y est-il plus intéressant ? Quelles sont les formalités à remplir ? Cinq confrères témoignent. D'Allemagne, de Suisse, de Grande-Bretagne, d'Espagne et de Belgique.

Grande-bretagne « On gagne bien sa vie »

Depuis son arrivée en Grande-Bretagne en janvier 2000, Olivier Picard a connu une ascension fulgurante : « En l'espace de quatre ans, j'ai dirigé une petite pharmacie, puis une grande, et maintenant je suis manager de région et je m'occupe de 28 pharmacies dans le Surrey, au sud de l'Angleterre. » A trente ans, ce diplômé de Nancy ne s'imagine pas rentrer dans sa Meurthe-et-Moselle natale.

L'aventure anglaise d'Olivier débute lorsqu'il doit faire son stage de fin d'études. « J'avais la possibilité de passer trois mois à l'étranger, et comme mon amie étudiait le droit à Leicester, j'en ai profité pour la rejoindre. A mon arrivée, je suis descendu dans la rue et je me suis arrêté devant la première pharmacie. Je suis entré et j'ai dit que je cherchais un stage. Ils ont pris quelques renseignements et m'ont vite rappelé », raconte Olivier.

Après son stage, Olivier repart en France mais revient rapidement. « Le concept de la pharmacie anglaise me plaisait plus, parce que les pharmaciens travaillent pour des grandes sociétés et parce qu'on nous donne à la fois des libertés et des responsabilités qu'on n'a pas en France, à moins de posséder sa propre pharmacie. » Il se tourne alors vers Moss Pharmacy, le groupe auquel appartenait la pharmacie de Leicester où il a fait son stage. Cette chaîne de 830 pharmacies, filiale d'Alliance Unichem, est l'une des principales enseignes de pharmacies outre-Manche. Après une formation de quatre semaines, il est lancé dans le grand bain : on lui confie une pharmacie.

« En Angleterre, le pharmacien supervise toutes les ordonnances. Tout transite par lui. L'autre grande différence, c'est ce qui se vend dans la pharmacie. En France, les produits en vente libre sont moins nombreux qu'en Angleterre. Les Anglais sont beaucoup plus actifs au niveau de la légalisation des produits. On a donc une variété de produits plus importante pour les clients », s'enthousiasme Olivier.

Autre aspect du travail qui intéresse Olivier, la concurrence entre les grandes chaînes comme Boots, Lloyds et Moss au niveau de la prestation de services : « Aujourd'hui, en tant que manager, je ne suis plus praticien au quotidien mais je m'occupe du développement des pharmacies et des services, comme le contrôle de la pression artérielle, du poids, du cholestérol ou du diabète. » Le National Health Service, l'équivalent de notre Sécurité sociale, veut faire en effet du pharmacien un acteur à part entière pour améliorer la santé des Britanniques.

45 000 euros par an pour débuter. Même si la Grande-Bretagne ne souffre pas d'une pénurie de pharmaciens, Olivier côtoie de nombreux collègues étrangers, d'Europe mais aussi d'autres continents. En revanche, les Français sont très peu nombreux. Ce qui l'étonne beaucoup : « Les Anglais m'ont accueilli à bras ouverts, ils sont sympas, ouverts. On gagne bien sa vie avec un salaire de débutant de 30 000 livres par an [environ 45 000 euros]. Il n'y a pas de pause à midi, mais on finit à 17 heures 30. Le seul point négatif, c'est la cherté de l'immobilier et le climat. »

Olivier, qui s'est marié il y a deux ans avec Alix, une notaire anglaise, recommande vivement à ses confrères français l'expatriation vers la Grande-Bretagne : « Il faut avoir un niveau d'anglais correct, mais ce n'est pas un gros problème. Depuis que je suis arrivé en Grande-Bretagne, je n'ai rencontré que trois pharmaciens français. Je crois qu'ils ne se rendent pas compte de la réelle facilité des démarches pour venir travailler ici. C'est une expérience à faire absolument », conclut-il.

Espagne « Avoir en soi une part de latinité »

Montpellier, 1975. Noëlle Bourely Raymond termine ses études à la faculté de pharmacie. Elle y rencontre un jeune Espagnol. Très vite, les deux étudiants se marient. Leur diplôme en poche, Noëlle et son époux partent pour Barcelone où ce dernier vient d'obtenir une autorisation de création. Trente ans plus tard, Noëlle y vit toujours.

Quand Noëlle est arrivée, elle ne parlait pas un seul mot d'espagnol. « Mais ce n'était pas un obstacle pour exercer ma profession. Le comptoir est une bonne école. » Car, en Espagne, les gens sont très spontanés. Ils se confient facilement et sont très exubérants dans leurs expressions. Noëlle estime pourtant que « les Espagnols sont plus nonchalants que les Français et manquent parfois d'un peu de sérieux ».

Côté profession, l'exercice en Espagne est semblable sur le fond avec des différences dans la pratique quotidienne. « Ici, le pharmacien découpe les boîtes de médicaments pour récupérer les vignettes, il n'y a pas de télétransmission. C'est une boîte trouée qui est remise au patient. » Une ordonnance ne peut comporter qu'un seul médicament. Il peut donc arriver qu'un patient dépose vingt ordonnances sur le comptoir !

Des officines moins rentables qu'en France. Autre spécificité espagnole : les mutuelles complémentaires n'existent pas. Seul l'équivalent de notre Sécurité sociale (Servei Català de la Salut, pour la Catalogne) prend en charge les dépenses de santé. Les personnes actives prennent à leur charge 40 % lorsqu'il s'agit d'un traitement aigu et 10 % pour un traitement chronique. Quant aux retraités (dès 65 ans), ils ne paient rien. Le tarif forfaitaire de remboursement n'existe pas, mais lorsqu'un patient refuse le générique au profit du princeps, il paie la totalité.

« La concurrence est un peu moins acharnée en Espagne, car nous nous battons moins sur la parapharmacie, peu présente, explique Noëlle. Pour cette raison, notamment, les pharmacies sont en moyenne un peu moins rentables qu'en France. »

Noëlle, qui ne prend jamais rendez-vous avant 16 h 30, refuse de quitter Barcelone et sa qualité de vie à nulle autre pareille, entre mer et montagne. Son conseil pour un pharmacien français tenté par l'aventure : « Avoir en soi une part de latinité. »

Suisse « En France le pharmacien

Alain Picard ne craint pas de traverser les frontières puisqu'il a vécu quatre ans en Australie où il a créé un laboratoire homéopathique, « un pays où tout est à la fois possible et très difficile... ».

De retour en France, n'ayant nulle intention de racheter une officine, Alain se met en quête d'un emploi. « Je voulais continuer dans l'homéopathie, mais passé 50 ans, en France c'est rédhibitoire. En Suisse, c'est différent car ils n'ont pas assez de pharmaciens et sont très demandeurs... » Alain sera rapidement recruté par une pharmacie de la chaîne Sunstore à Hauterive, près d'Yverdon, où il travaille depuis un mois.

Alain Picard compare la Suisse à l'Australie où l'installation est libre (pas de numerus clausus) et où aucune distance minimale entre officines n'est requise. Par ailleurs, il n'y a pas besoin du diplôme de pharmacien pour devenir propriétaire d'une officine, à condition d'y faire exercer des pharmaciens. « En France, le pharmacien étouffe. Il n'a pas la liberté de s'exprimer commercialement et il est coincé entre l'honorabilité due à son diplôme et son envie de faire du commerce. Chez Sunstore, 75 % des gens viennent parce qu'ils ont une carte VIP qui leur donne 10 % de remise sur tout ce qui n'est pas ordonnance. »

Selon Alain, le pharmacien suisse peut faire du « business », contrairement à son voisin français. Une diversité de couvertures sociales privées et des complémentaires assez onéreuses incitent le pharmacien à faire des offres commerciales. Ainsi la chaîne Sunstore a passé un accord avec les caisses pour que ses clients soient exonérés des frais de dossier et de responsabilité, ainsi que des honoraires pharmaceutiques habituellement compris dans le prix du médicament (voir Le Moniteur n° 2542).

Adjoints et titulaires sur un pied d'égalité. Alain Picard insiste aussi sur le fait que « le gérant et l'adjoint sont à égalité dans la pharmacie ». Mêmes fonctions et mêmes prérogatives, sauf que le gérant est responsable des comptes vis-à-vis de la chaîne. « Ce qui me plaît le plus, précise-t-il, c'est la variété des produits que l'on vend. Par exemple le rayon parfumerie est très fourni et bien en évidence, absolument pas séparé de la pharmacie. On trouve ici les mêmes produits que chez Sephora et le pharmacien n'en éprouve aucune honte. La diététique et l'homéopathie sont elles aussi beaucoup plus développées qu'en France. Les Suisses, comme les Allemands, sont portés sur les plantes et la nature. »

Une légère ombre au tableau toutefois : « Le salaire du pharmacien suisse est équivalent à celui du pharmacien français, or la vie ici est très chère. » Néanmoins, depuis son arrivée sur le territoire helvétique, les bonnes impressions l'emportent sur les doutes : « Ici je savoure la qualité de vie et la gentillesse des clients. Pas de stress, pas d'impatience, pourtant l'informatique est réellement plus complexe qu'en France. »

A tous les pharmaciens français qui souhaitent passer la frontière, Alain prévient : « Travailler en Suisse offre une ouverture d'esprit et une dynamique commerciale qu'on ne trouve pas en France. »

Allemagne « Un système de soins très complexe »

Marguerite Vuillaume exerce en Allemagne depuis qu'elle y a suivi son mari allemand, il y a vingt ans. Pour y parvenir, elle aura dû multiplier les démarches administratives afin d'obtenir la reconnaissance de son diplôme et surtout obtenir un examen en droit de la pharmacie. Après avoir exercé pendant deux ans à Toulon, la toute jeune expatriée a dû redevenir stagiaire, histoire de prendre pied dans une officine et d'apprendre la législation et la langue allemandes. Et de découvrir que la crise de foie est une exception française et qu'il faut prendre au sérieux les problèmes d'hypotension, le fameux « mal allemand »...

Une fois son équivalence en poche, Marguerite s'est fait embaucher sans difficulté dans une pharmacie de Bad Godesberg, quartier diplomatique de l'ex-capitale fédérale. « A l'époque toutes les ambassades étaient encore à Bonn, et cela présentait un certain atout de parler français. »

Dix ans après, elle tente de se faire embaucher à Cologne en déclarant ouvertement à son futur employeur qu'elle est mère de famille. Dans ce pays résolument réfractaire au travail des mères, la démarche de Marguerite tient de la provocation. « J'ai eu de la chance de trouver un employeur ouvert d'esprit... »

En général très francophiles, les clients aiment raconter leurs dernières vacances en France. Et parler parapharmacie avec Marguerite, dont elle s'est fait une compétence « informelle » : « Les produits sont très souvent français, et j'ai naturellement des facilités pour les sélectionner et les conseiller... »

Les mêmes salaires qu'en France. Marguerite a dû aussi se plier aux relations particulières que les pharmaciens entretiennent avec les médecins. « En Allemagne, le médecin n'indique pas la posologie mais le modèle de conditionnement. Impossible de passer outre la prescription si le médecin s'est trompé sur l'emballage, il faudra le convaincre car les caisses ne laissent pas passer un écart entre la délivrance et l'ordonnance initiale », explique-t-elle. Quant au salaire, il est à peu près équivalent à celui de la France compte tenu du coût de la vie (les loyers sont très chers en Allemagne) et des charges.

Belgique « Des relations plus ouvertes avec le titulaire »

Fabienne, comment tu vas ? », lance un client en entrant. A 45 ans, dont 23 passés à la Pharmacie du Bizet, à Comines, Fabienne Lignel, originaire de Nieppe (Nord), apprécie toujours autant la convivialité des Belges qu'elle juge plus « cool » que les Français, même si elle a eu du mal au départ à se faire au tutoiement. Diplômée de la faculté de Lille en 1982, Fabienne a commencé à travailler à mi-temps dans cette officine située à cinq cents mètres de la frontière, dans le prolongement du travail saisonnier qu'elle y effectuait l'été, tout en travaillant dans une pharmacie française. « Je pensais m'installer à l'époque, ce qui ne s'est pas réalisé. »

Mais Fabienne a dû travailler les premières années sans être reconnue légalement, tout en percevant un salaire de pharmacien. « Le plus difficile, c'était de savoir à qui, de la communauté française ou wallonne, adresser le dossier, indique son patron, Jean-Claude Hovine. C'est vrai qu'ici c'est un peu compliqué. »

Fabienne dit avoir été séduite par « une ambiance de travail beaucoup plus détendue et des relations plus ouvertes avec le titulaire ». Grâce à sa connaissance des spécialités françaises, la délivrance des équivalents belges à la clientèle française est devenue pour elle un domaine de prédilection. Elle apprécie également les préparations, qui occupent l'équivalent d'une moitié de temps plein, même si les pharmaciens doivent se battre pour les garder. Mais aussi la responsabilisation des patients : « Ici, il n'y a pas de mutuelles complémentaires, ce qui implique moins de paperasses. Comme les patients paient toujours, il y a moins d'abus. » Il faut dire qu'en Belgique un pharmacien ne peut délivrer plus d'une boîte d'un même médicament par ordonnance.

Menace fiscale. « Pour retourner travailler en France, il me faudrait une bonne raison, lâche Fabienne. Je gagne 16,88 euros net de l'heure à raison de 38 heures par semaine, soit 2 600 euros par mois, treizième mois compris. Mais cela n'a pas toujours été le cas. Aujourd'hui je perçois même une indemnité kilométrique. De plus, mon employeur abonde mes cotisations retraite, ce qui fait que je devrais percevoir une pension de 2 300 euros par mois. »

Satisfaite de son sort, Fabienne n'en est pas moins inquiète des menaces fiscales qui pèsent sur les travailleurs transfrontaliers, avec notamment le paiement de l'impôt sur le revenu directement en Belgique, ce qui lui serait a priori défavorable. « Mais rien ne devrait changer pour elle dans les quinze années à venir », précise, rassurant, Jean-Claude Hovine.

COMMENT EXERCER EN SUISSE ?

Déposer une demande auprès de l'Office de santé publique de Berne (joindre les photocopies du diplôme ainsi que le parcours professionnel).

Après autorisation de l'Office de santé publique, demander un rendez-vous au pharmacien cantonal (fonction équivalente à celle du pharmacien inspecteur), muni de l'autorisation d'exercer, d'un extrait de casier judiciaire, des photocopies de diplômes et d'un CV.

Un pharmacien étranger doit travailler deux ans comme adjoint pour avoir toutes les prérogatives du pharmacien suisse et acheter ou créer une pharmacie.

Pour vivre en Suisse, il faut un permis de travail. Il en existe de deux sortes : A pour les frontaliers et B pour les autres. Ce permis est renouvelable tous les cinq ans.

COMMENT EXERCER EN ALLEMAGNE ?

Le diplômé français suivra le même cheminement que ses confrères allemands pour la reconnaissance de ses diplômes et l'obtention de son autorisation à exercer. Selon les Länder, l'instance compétente pour la certification du diplôme peut être le ministère ou l'office des examens.

Aucun certificat de langue n'est exigé, bien que des connaissances en allemand pour l'officine et en anglais pour l'industrie soient recommandées.

De même, des connaissances en droit allemand de la santé ne sont pas requises mais peuvent se révéler très utiles à titre personnel en raison de la complexité du système de soins.

COMMENT EXERCER EN BELGIQUE ?

Le pharmacien doit prouver à la Commission médicale provinciale (ministère de la Santé publique) qu'il connaît la langue du lieu où il va travailler. Ainsi, en Wallonnie, il doit prouver qu'il connaît le français, à Bruxelles, le français et

le néerlandais, en Flandre, le néerlandais, et dans les cantons rédimés l'allemand et le français.

Si le pharmacien veut être employé comme adjoint, il doit le notifier à l'ordre des pharmaciens, à l'inspection de la pharmacie et à l'INAMI (la Sécurité sociale belge).

Vous sentez-vous régulièrement en insécurité dans vos officines ?


Décryptage

NOS FORMATIONS

1Healthformation propose un catalogue de formations en e-learning sur une quinzaine de thématiques liées à la pratique officinale. Certains modules permettent de valider l'obligation de DPC.

Les médicaments à délivrance particulière

Pour délivrer en toute sécurité

Le Pack

Moniteur Expert

Vous avez des questions ?
Des experts vous répondent !