L'important, c'est la dose - Le Moniteur des Pharmacies n° 2541 du 19/06/2004 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2541 du 19/06/2004
 

ANTIOXYDANTS

Actualité

Enquête

De la vitamine A au sélénium, les antioxydants sont devenus les stars de la médecine préventive et les actifs phares des compléments alimentaires anti-âge. En consommer fait désormais partie des habitudes des Français en quête de perpétuelle jeunesse. La panacée contre le vieillissement ? Sous certaines conditions seulement.

Antioxydant. Deux ans plus tôt, le grand public aurait pu trouver le terme barbare. Mais depuis la parution des résultats de l'étude Su.Vi.Max, tous les magazines en parlent. Les vedettes ne sont autres que les vitamines A, C, E et les minéraux comme le sélénium et le zinc, sans oublier les caroténoïdes, les polyphénols et les oméga-3. Les produits, de plus en plus nombreux (on compte à l'heure actuelle plus de 250 laboratoires de compléments alimentaires), arrivent dans les linéaires bardés de belles promesses. Untel assure une action globale contre le vieillissement, un autre offre un effet antirides, un troisième revendique un effet lifting. Bienvenue dans l'univers des nutraceutiques, à mi-chemin entre beauté et santé. Bref, les antioxydants sont sous les feux de la rampe, ce dont profitent les gélules « anti-âge ».

En 2003, selon IMS Health, leur chiffre d'affaires en pharmacie (17 438 000 Euro(s)) a augmenté de 56 % alors que la croissance générale des compléments alimentaires est estimée à 31 % sur la même période. Des chiffres qui appuient le sondage réalisé sur le site du Moniteur du 1er au 31 janvier 2004, puisque vous étiez 57 % à constater un nombre important de demandes en antioxydants.

Derrière les arguments marketing des laboratoires, se cache aussi une réalité biologique. « L'oxydation progressive des mitochondries, véritables centrales énergétiques de nos cellules, est le moteur du vieillissement et limite physiologiquement la vie humaine à 120 ans », explique le Dr Bernard Schmitt, chef du service endocrinologie-diabète-nutrition au CHU de Lorient et expert à l'AFSSA. On sait aussi que l'hyperoxydation des lipides conduit aux plaques d'athérome. L'intérêt des antioxydants et le rôle délétère des radicaux libres sont donc reconnus par la communauté scientifique. « Les antioxydants sont des molécules crédibles qui jouent un rôle préventif contre les pathologies liées au stress oxydatif comme le cancer ou les maladies cardiovasculaires », assure Marvin Edeas, médecin nutritionniste et président de la Société française des antioxydants (SFA).

Manque de preuves scientifiques.

Créée il y a six ans, la SFA se compose de différents experts médicaux et se fixe pour objectif le transfert de la recherche fondamentale vers des applications concrètes chez l'homme. Utopie ou fait réel ? Les produits commercialisés se révèlent-ils actifs ? Réponse claire et nette de Bernard Schmitt : « Dans la grande majorité des cas, le laboratoire n'a pas fait d'études pour prouver ce qu'il avance et se contente de reprendre la bibliographie internationale. Les composants ont un effet antioxydant certain, mais qu'en est-il de leur association dans le produit fini ? Je plaide pour que les industriels jouent le jeu de l'honnêteté scientifique et acceptent le risque mineur de financer de réelles études cliniques. » Et de dénoncer la myriade de petites sociétés qui mettent en avant des actifs à la mode et jouent la carte commerciale plutôt que celle de la recherche. Alors que, pour Bernard Schmitt, les plus gros laboratoires commencent à peaufiner leur image de sérieux. « Avec un recul de deux à trois ans, de plus en plus de nos adhérents soumettent leurs produits à une expérimentation. Actuellement, quelques études sont en cours sur la beauté de la peau, principale application des antioxydants aujourd'hui », confie Jacques Karlsson, secrétaire général du Synadiet (Syndicat de la diététique et des compléments alimentaires). Mais pour Bernard Schmitt, « un essai mené sur vingt personnes ne peut être considéré que comme une étude préclinique ».

Cependant une chose est sûre, toute allégation ne peut s'obtenir qu'après une démonstration et peu importe l'ampleur de celle-ci. Seulement voilà, beaucoup de compléments alimentaires n'ont pas d'allégation et ne sont donc pas tenus de fournir des preuves particulières concernant leur efficacité. Toute promesse débutant par « contribue à » ne correspond pas à une allégation, de même que l'appellation « anti-âge » elle-même. « C'est un non-sens sémantique, impossible à quantifier exactement (c'est quoi l'âge ?), et encore moins à vérifier », regrette Bernard Schmitt.

La cosmétique orale sur la sellette.

Actuellement, même le terme de « cosmétique orale » - fortement médiatisé et intégré par un nombre croissant de dermatologues - est remis en cause ! D'après Jean-Paul Marty, dermopharmacologue (faculté de pharmacie de Châtenay-Malabry), « qui dit cosmétique dit uniquement action locale. Mieux vaut donc parler de "complément alimentaire de beauté" ». Mais qu'en attendre exactement sur la peau ? Cette question, évoquée au cours de la première conférence « Ingrédients antioxydants et vieillissement cutané » organisée par la SFA en mars dernier, ne s'avère toujours pas élucidée. Selon une communication de cette conférence, les actifs ayant démontré leur action par voie orale chez l'homme ne sont pas si nombreux. Ils se limitent à la vitamine A (prévention des cancers des cellules squameuses) et aux caroténoïdes (prévention de l'érythème et augmentation de la synthèse de mélanine) dans le cadre de la protection contre les UV.

Bon point pour les « gélules solaires ».

Autant de raisons qui expliquent la légitimité des « gélules solaires ». « Elles bénéficient de l'expertise clinique la plus aboutie en matière de compléments alimentaires et leurs résultats sur la lucite estivale bénigne et l'amélioration de la tolérance au soleil se montrent vraiment convaincants », assure Nadine Pomarède, dermatologue à Paris. Seul bémol : la plupart des études menées sur les produits finis et démontrant un degré de pigmentation plus élevé ne portent que sur des personnes de phototype 2 ou 3. Partant du principe qu'il est possible d'atteindre, via l'application de crèmes, des doses en actifs antiradicalaires au niveau de la peau identiques à celles conférées par une absorption orale, Jean-Paul Marty se pose la question : « Faut-il apporter les composés par voie générale en diluant leur puissance là où ils ne sont pas nécessaires, ou les concentrer par voie locale là où ils sont particulièrement attendus ? »

Mais pour les adeptes de compléments nutritionnels, dont fait partie Catherine Oliveres-Ghouti, dermatologue à Paris, « les antioxydants per os possèdent une action sur l'ensemble de l'organisme et donc sur toute la surface de la peau. Alors qu'il est difficile de mettre une crème de la tête aux pieds. De plus, l'observance d'un traitement oral se montre toujours meilleure qu'une application locale ».

La biodisponibilité en question.

Au niveau cutané comme sur n'importe quel autre organe, toute la crédibilité de la supplémentation antioxydante repose sur la biodisponibilité des actifs. « C'est une technique qu'il faut savoir doser en fonction de la stabilité et de la fragilité des composants soumis aux attaques des enzymes gastriques. Reste ensuite à passer la barrière intestinale », explique Marvin Edeas. La dose retrouvée dans le sang peut donc être infime voire inexistante. Exemple de la vitamine E : son absorption intestinale ne dépasse pas 10 % si elle est d'origine synthétique (contre 80 % pour la vitamine naturelle). « Dès lors que les composants atteignent la circulation générale, tout l'organisme en bénéficie. Car à l'heure actuelle, on n'arrive pas encore à véhiculer les antioxydants vers des cellules précises. Même les chercheurs des laboratoires japonais, qui se cassent la tête pour cibler uniquement la peau, n'y parviennent pas. »

De là à dire que le concept de « gélule pour la beauté de la peau » est le fruit d'une approche purement marketing, il n'y a qu'un pas que le président de la SFA n'hésite pas à franchir. Pour autant, Marvin Edeas estime que nous avons tous besoin à un moment ou un autre de prendre des antioxydants, « en raison du stress oxydatif généré par le tabac, la pollution, les expositions solaires, l'alcool ou le régime hamburger/frites ». Par ailleurs, il est reconnu que l'absorption intestinale des antioxydants diminue avec l'âge et que les mitochondries « fatiguent » en vieillissant, d'où une fuite d'oxygène plus importante et la création de radicaux libres.

Si les experts recommandent la prise d'antioxydants en cures de deux à trois mois, ils militent plus particulièrement pour une modification du mode de vie (à commencer par l'arrêt du tabac) et une alimentation riche en fruits et légumes, prônée par le plan national Nutrition-Santé. « Mais il n'est pas toujours évident de manger 900 g de fruits et légumes par jour ! », souligne Marvin Edeas.

Discerner la population à risque.

L'état nutritionnel des Français ne paraît pas si catastrophique que le constat de « malbouffe » le laisse entendre. « En termes de vitamines et d'oligoéléments dans la population moyenne, 95 % des personnes sont largement couvertes, précise Bernard Schmitt. Paradoxalement, les utilisateurs moyens de "nutricosmétiques" ne sont donc pas ceux qui en ont besoin. » Dans ce condiv, la population à risque de complications liées au stress oxydatif comprend les obèses, les fumeurs invétérés, les personnes présentant un syndrome métabolique, celles souffrant de maladies chroniques (diabète, insuffisance respiratoire...) ou dégénératives (Alzheimer, Parkinson...) et les patients victimes d'hépatites et du sida. « Dans ces cas, affirme le représentant de l'AFSSA, la supplémentation en antioxydants peut être un élément thérapeutique réellement efficace. L'intérêt du chrome chez un diabétique s'avère certain. »

Le corps médical doit donc changer de mentalité. On assiste cependant aux prémices d'une révolution en matière de médecine préventive. La « médecine anti-âge » est en plein essor, même si elle reste toujours réservée à une élite, en raison de ses tarifs. « La seconde Conférence mondiale sur les anti-âge a rassemblé 2 200 spécialistes du vieillissement en mars dernier à Paris, et nous sommes actuellement 600 à 700 spécialistes en France. Cette spécialisation prend le même chemin que la médecine esthétique », affirme Claude Chauchard, div de Trente jours, dix ans de moins sans chirurgie (Michel Lafon). Par ailleurs, les laboratoires hospitaliers de la Timone (Marseille) ou Saint-Joseph (Paris) disposent depuis peu d'un test dénommé KRL* permettant de quantifier le degré du stress oxydatif grâce à une prise de sang. Ce test peu onéreux (30 Euro(s)) est en cours d'implantation dans les laboratoires d'analyses privés.

Reste qu'en ce qui concerne les produits commercialisés, l'heure est plus que jamais à la prudence et au discernement. « Attention par exemple au dosage précis des composants ! On ne sait rien d'une substance "riche en" ou "concentrée en" », met en garde Marvin Edeas. Optimiser l'utilisation des antioxydants n'est pas simple ! « Dommage qu'en général les pharmaciens ne s'informent qu'à travers le discours des laboratoires. Pourquoi n'ont-ils pas recours à des modules de formation continue ou aux diverses conférences de la SFA ? », suggère Bernard Schmitt. A bon entendeur...

* Voir « Le Moniteur des pharmacies » n° 2524 du 21 février 2004.

Témoignage

Linda Levy, titulaire à Paris VIIe

« J'ai toujours été passionnée par la nutrition et son approche préventive. Et je me forme régulièrement. J'ai notamment suivi le diplôme universitaire de diététique et nutrition clinique à Paris-V.

A l'officine, nous avons pris l'habitude de conseiller systématiquement les antioxydants en complément des crèmes antirides et nous les proposons aussi aux malades présentant des grosses ordonnances de cardiologie ou de rhumatologie. Côté référencement, je choisis les produits avant tout en fonction de leur composition qualitative. Je privilégie par exemple les actifs d'origine naturelle pour une meilleure biodisponibilité et les doses physiologiques, je demande toujours les fiches techniques. Je fais confiance à des gammes peu connues plutôt qu'à des marques qui surcommuniquent.

Ce qui m'intéresse, c'est d'assurer la satisfaction et le retour de la clientèle. Sur ce marché porteur, il est très facile de faire purement du "business", mais je tiens à m'inscrire dans une démarche sérieuse de prévention santé. Sur le plan professionnel, c'est très enrichissant et les patients sont ravis. »

Mi-anges, mi-démons

Si les antioxydants se révèlent utiles pour préserver nos organes de la dégradation prématurée, ils peuvent, utilisés à mauvais escient, devenir de véritables bombes oxydatives.

- Une affaire de doses : « A plus de 20 mg par jour, la vitamine E devient pro-oxydante. Mais c'est aussi le cas de certains antioxydants employés à trop faible dose comme le zinc ou le cuivre », informe Marvin Edeas (SFA). Autant dire qu'il s'avère fondamental d'ingérer la juste dose. Mais les experts ont eux-mêmes du mal à la déterminer ! Bernard Schmitt (AFSSA) l'évalue cependant entre 9 et 15 % des apports journaliers recommandés (AJR), en complémentation. « Il faut tenir compte des apports alimentaires en sus. Ainsi, un produit apportant 100 % des AJR est souvent surdosé », juge-t-il.

- Des associations sinon rien : les antioxydants agissent en synergie, chacun ayant un rôle bien défini. La vitamine E a besoin de vitamine C pour se régénérer car elle s'oxyde et se transforme en radical tocophéryl après avoir agi au niveau des membranes cellulaires. A son tour, la vitamine C est protégée de l'oxydation par la glutathion-peroxydase.

- Attention au fer ! : la supplémentation en fer ne se justifie que chez les femmes carencées. Dans les autres cas et en particulier chez les hommes, elle accélère les réactions d'oxydation. De plus, l'accumulation du fer au niveau de l'intestin serait à l'origine de cancers.

- Les oméga-3, oui... mais : ces acides gras superstars sont pour l'instant reconnus pour leurs bénéfices dans la prévention cardiovasculaire... « A condition de respecter le ratio oméga-6/oméga-3 (idéalement égal à 5) et de limiter son oxydation en y associant de la vitamine C, car c'est une cible rêvée pour les radicaux libres », précise le Dr Michel Brack (centre Elysées-Marbeuf).

- L'acide linoléique conjugué avec modération : cet acide gras au pouvoir antioxydant se retrouve dans les gélules à visée minceur car il a la capacité d'augmenter la masse maigre au détriment des réserves de graisses. Seulement voilà... A long terme, il induit une résistance à l'insuline faisant le lit du diabète. « Il ne doit donc pas être utilisé plus de deux mois d'affilée par an », recommande Marvin Edeas.

En direct du Japon

En matière de prévention anti-âge, les Japonais ont une longueur d'avance sur nous. Ils ont depuis longtemps pris en compte l'intérêt des antioxydants. Parallèlement à leur alimentation naturellement riche en isoflavones, ils ont jeté leur dévolu sur les polyphénols du thé vert. Ainsi, on retrouve de l'extrait de thé vert dans des biscuits, des glaces, des chewing-gums... et même des bonbons. Quant au thé vert proprement dit, ils produisent et commercialisent des variétés très riches en polyphénols au pouvoir antioxydant jusqu'à 50 fois plus élevé que nos vitamines. Voilà peut-être pourquoi le Japon détient la palme du pays le plus peuplé en centenaires, le taux record revenant à l'île d'Okinawa, au sud de l'archipel. Côté supplémentation, une nouvelle forme de communication, proche du « coaching santé », se développe afin de répondre aux attentes des consommateurs ne sachant quel produit choisir. Ils se rendent en pharmacie où ils achètent... des coordonnées téléphoniques. Au bout du fil, une société spécialisée propose un programme sur mesure en fonction du mode de vie et de l'alimentation de chacun. Sont ensuite envoyés à domicile des comprimés pour un mois de cure, présentés en dose journalière dans un rouleau distributeur. On n'arrête pas le progrès...

Entretien avec le Dr Michel Brack

fondateur du premier centre d'investigation bioclinique sur le stress oxydatif (centre Elysées-Marbeuf, Paris)

« Le Moniteur » : Pourquoi avoir créé ce centre ?

Michel Brack : Notre objectif est de réaliser des bilans complets et de nous efforcer à les normaliser à travers une prise adaptée d'antioxydants. Nous voulons en finir avec l'empirisme qui règne dans ce domaine. En se supplémentant à l'aveugle, on peut obtenir l'inverse des effets recherchés ! On voit par exemple des déséquilibres épouvantables sur la chaîne antioxydante provoqués par des prises isolées de vitamine E.

Qui sont vos patients ?

Plus de 50 % d'entre eux sont des malades adressés notamment par des services hospitaliers avec lesquels je suis en contact permanent. Les pathologies rencontrées sont diverses : hépatites, sclérodermie, Parkinson, Alzheimer, diabète... Depuis la parution de l'étude confirmant l'intérêt de la lutéine et de la zéaxanthine dans la dégénérescence maculaire liée à l'âge*, les ophtalmologistes nous envoient également des patients. Parallèlement, les demandes spontanées des personnes bien portantes désirant « bien vieillir » augmentent.

Comment se déroulent les bilans ?

Ils débutent par une consultation pour bien cerner le mode de vie des patients et corriger leurs erreurs si nécessaire. Une diététicienne prend en charge les recommandations alimentaires. Nous désirons avant tout agir sur les causes du stress oxydatif. Nous réalisons ensuite le bilan proprement dit, des prises de sang dont les dosages très pointus sont effectués à l'université de Liège. Dans certains cas, nous dosons les marqueurs du stress oxydatif dans l'air expiré. Après une supplémentation de quatre mois, un bilan partiel permet de faire le point. Lors d'une seconde consultation, nous décidons de poursuivre la complémentation par intermittence ou de la stopper en cas de normalisation complète. Cette complémentation n'est pas systématiquement une formule individualisée. Le coût des bilans va de 150 à 500 euros, selon le profil clinique des patients.

* Voir « Le Moniteur des pharmacies » n° 2534 du 24 avril 2004.

Vous sentez-vous régulièrement en insécurité dans vos officines ?


Décryptage

NOS FORMATIONS

1Healthformation propose un catalogue de formations en e-learning sur une quinzaine de thématiques liées à la pratique officinale. Certains modules permettent de valider l'obligation de DPC.

Les médicaments à délivrance particulière

Pour délivrer en toute sécurité

Le Pack

Moniteur Expert

Vous avez des questions ?
Des experts vous répondent !